Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
Vom Netzwerk:
peuplée, l’humidité plus chaude et la fièvre
plus enivrante. Mais l’ornement obéit à un rythme d’un splendide
balancement. Les entrelacs de fleurs, de fruits, de lianes, de
palmes et de plantes grasses qui rampent du haut en bas des murs,
le long des montants et sur les frontons des portes et jusqu’au
sommet des hautes tiares aux quatre faces de Brahma qui remplacent
ici la coupole indo-persane ou la pyramide dravidienne, épousent à
tel point la ligne de l’architecture qu’elles la rendent plus
légère et semblent la soulever toute comme en un réseau aérien de
feuilles, de tiges enroulées, de frondaisons suspendues, une pluie
silencieuse et tourbillonnante de corolles et de parfums.
    Le sculpteur khmer donne une forme à tout ce
qui n’atteint d’habitude notre sensibilité centrale que par ce que
nous entendons et ce que nous goûtons et ce que nous sentons. Il
sculpte les murmures et les lueurs et les odeurs de la forêt, le
bruit cadencé des troupes en marche, le roucoulement profond des
oiseaux qui cherchent l’amour, le râle rauque et sourd des fauves
rôdant au travers des fourrés, le fluide invisible qui court dans
les nerfs des femmes qui dansent quand la musique ronfle et quand
monte la volupté. Le cœur secret du monde bat en tumulte et
régulièrement dans les foules qui passent sous d’impénétrables
rameaux, qu’elles chantent toutes ensemble ou se préparent au
massacre, à la fête, à la mort, à la justice, à la construction des
palais. Et, dans cet ordre intérieur qui donne à ces symphonies
sculpturales tant de force rythmique, tout cependant s’interpénètre
sans arrêt. La transmigration des penseurs de l’Inde frémit à même
le rocher. Des formes animales, des formes végétales passent les
unes dans les autres, des lianes germent en figures, des reptiles,
des pieds, des mains fleurissent en fleurs de lotus. Mais
qu’importe ! L’univers luxuriant est bon, puisque le visage
divin de celui qui console apparaît derrière chaque feuille,
puisqu’il aima jusqu’aux serpents. Les héros, les éléphants, les
tigres gardiens du temple ou qui bordent les avenues, les immenses
cobras aux sept têtes écartelées qui encadrent les frontons ou
rampent le long des balustrades, ont malgré leurs massues, leurs
griffes, leurs dents, un visage d’indulgence et un sourire
d’accueil. Bouddha est tout amour. Les forces de la terre l’ont
pénétré pour s’épanouir en humanité dans son être. Ainsi des arbres
noirs pleins de sucs vénéneux, pleins d’épines, et parcourus, des
racines aux feuilles, de bêtes distillant la mort, portent, à leur
plus haute branche, une fleur.
    L’histoire de Çakia-mouni, de sa naissance à
son sommeil nirvânique, fleurit les murs des sanctuaires. Le
sculpteur khmer s’est attendri sur l’homme-dieu d’Orient, comme
vers le même temps, l’artisan gothique s’attendrissait à raconter
la naissance et la passion de l’homme-dieu d’Occident. Partout de
bons sourires, partout des bras ouverts, des têtes inclinées sur
des épaules amies, des mains jointes avec douceur, des élans
ingénus d’abandon et de confiance. L’homme est partout à la
recherche de l’homme. L’esprit du mal, Ravana aux cent mains d’où
naissent des plantes et des herbes, aux pieds marchant sur des bois
peuplés d’animaux, l’esprit du mal peut accourir, les innombrables
figures des hommes peuvent se débattre sous des avalanches de
fleurs ainsi que l’esprit assiégé par les séductions de la terre.
Qu’importe ! Sur des fonds d’arbres épais, des armées
marchent. Rama s’avance au travers des forêts. L’homme finira bien
par conquérir, ne fût-ce qu’une seule minute, l’accord entre sa vie
sociale et ses instincts les plus tyranniques. Ni bestialité, ni
ascétisme. Non seulement les héros de la volonté sont entourés de
fleurs amies et n’ont qu’à étendre la main pour cueillir les fruits
aux branches inclinées sur leur passage, mais même des guirlandes
de bayadères nues les attendent à l’extrémité du chemin, toutes
différentes, toutes pareilles, dansantes et presque immobiles et
qui scandent au rythme deviné de la musique, les saccades
intérieures de l’onde qui les parcourt. Pour la seconde fois depuis
l’origine des hommes, l’effort intellectuel et la joie des sens
semblent s’accorder une heure. Furtif sans doute, et plus sommaire,
mais aussi plus plein, plus musical, plus empâté de

Weitere Kostenlose Bücher