L'Art Médiéval
matière,
surchargé et mouvant sur des fonds d’arbres et de fleurs, le modelé
des Grecs paraît s’ébaucher çà et là.
Ainsi, éternellement balancée entre son
héroïsme et sa sensualité, passant à tout instant et sans
transition de l’extrême amour moral à l’extrême ivresse matérielle
et de la plus haute aristocratie de culture aux satisfactions
d’instinct les plus impulsives, l’âme indienne erre à travers les
forêts vivantes des sentiments et des systèmes, à la recherche de
la loi. Dans son ensemble, et malgré des oasis d’espoir et de
fraîcheur sentimentale, elle est pessimiste et cruelle. Non pas que
les hommes de l’Inde aient plus que les autres le besoin d’infliger
la douleur ou de donner la mort. Ils sont du vrai limon humain,
pétris de faiblesse, cuirassés de fer et d’or, emportés tour à tour
vers l’amour ou le meurtre selon que les souffles qu’ils respirent
leur apportent l’odeur des arbres, des océans ou des déserts. Dans
tous les cas, là comme ailleurs, l’énergie la plus élevée et la
matière la plus brute s’épousent à tout instant. On dirait que les
manifestations de l’instinct rué de toute sa puissance dans
l’immensité de la vie, suscitent infailliblement, chez les natures
supérieures, les plus hauts sentiments de l’âme. Si les sages
indiens s’élèvent au-dessus du bien et du mal pour conquérir
l’indifférence après avoir beaucoup souffert, c’est parce que la
foule indienne se plongeait dans l’ivresse ou l’horreur de vivre
sans savoir le bien ni le mal.
L’équilibre, pour eux, ne pouvant se réaliser
que par éclairs dans la vie sociale moyenne, ils le cherchèrent en
dehors des conditions de la vie sociale moyenne, au sein d’une
harmonie démesurée où la vie et la mort, dans l’ignorance des
origines et des fins, mêlent leurs puissances égales et ne
connaissent pas d’autres limites qu’elles-mêmes. Que la vie donc
s’épuise à vivre jusqu’à la mort ! Que la mort, dans sa
pourriture, fasse fleurir et refleurir la vie ! Pourquoi
tenter de faire entrer dans l’harmonie de la conscience les
énergies de la nature ? Disciplinées une minute, les énergies
de la nature reprendront le dessus et de nouveau rouleront les
volontés et les espoirs de l’homme dans l’enivrement confus de leur
jeunesse reconquise.
La Chine
I
L’Inde, c’est nous encore. Si le pessimisme
grandiose qui donne à sa langue plastique tant d’ivresse nous ouvre
des régions de nous-mêmes que nous n’avions pas explorées, il nous
domine dès l’abord, parce que le rythme de cette langue l’apparente
secrètement à toutes celles qui expriment l’optimisme occidental.
En Chine, au contraire, nous ne comprenons plus. Bien qu’enfermant
le tiers des hommes, ce pays est le plus lointain, le plus isolé de
tous. Il s’agit là d’une méthode qui nous échappe presque
absolument, d’un point de départ qui n’est pas le nôtre, d’un but
qui ne ressemble pas au nôtre, d’un mouvement vital qui n’a ni la
même allure ni le même sens que le nôtre. Réaliser l’unité de
l’esprit, c’est à cela, sans doute, que le Chinois tend comme nous.
Mais il ne cherche pas cette unité sur les routes où nous la
cherchons.
La Chine n’est pourtant pas restée aussi
fermée qu’on l’a dit. Elle s’est incessamment mêlée à l’aryanisme,
au point de produire, en Indochine et au Thibet par exemple, des
civilisations mixtes où elle laissa les fleuves d’amour qui
s’épanchaient de l’âme indoue pénétrer d’un peu d’ardeur inquiète
et de désirs inconnus son âme sérieuse, positive, bonhomme et
rechignée. Elle a connu les mondes les plus éloignés d’elle, les
plus anciens. Rome, il y a deux mille ans, trafiquait avec elle, la
Chaldée, vingt siècles avant Rome, lui enseignait l’astronomie.
Plus près de nous, l’Islam l’a touchée au point d’amener à son dieu
vingt ou trente millions de Chinois. Au XVI e siècle,
après la conquête mongole, Pékin était peut-être la ville la plus
cosmopolite, la plus ouverte du globe. Les Portugais, les Vénitiens
y envoyaient leurs marchands et la cour impériale faisait venir des
Indes, de la Perse, de l’Europe occidentale même, des artistes et
des savants.
Pourtant, aussi loin qu’on regarde dans le
passé de la Chine, elle semble n’avoir pas bougé. Sa vie mythique
prend fin, peut-être, vers le siècle de Périclès, son apogée de
puissance
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