L'Art Médiéval
transparaissent
vaguement, ainsi que des mousses et des algues à travers
l’épaisseur des sources. Et si le soir est somptueux, la flamme des
fours rampe encore au flanc des vases et l’émail diapré chatoie
entre ses cloisons d’or.
L’airain, la terre cuite ont l’air de gros
fruits mûrs, cuirassés d’épines et vernissés, qui vont quitter la
branche. Lourde, subtile, pure forme chinoise ! On dirait
moins, malgré sa pesanteur, une forme matérielle qu’un son
cristallisé. Étrange peuple positif, sans idéal et qui pourtant,
tout au fond de son âme obscure, entend cette claire musique. Forme
cylindrique, forme ovoïde, forme sphérique, rythme circulaire de la
Chine ! La Chine tournera-t-elle donc toujours en cercle, du
même effort patient, infatigable, lent, qui lui permet de maintenir
le mouvement sauveur et de vivre sans avancer, ou brisera-t-elle ce
cercle pour chercher l’idéal toujours renouvelé au sommet même du
flot montant des choses et pour tenter de conquérir, dans cette
poursuite incessante, l’illusion de sa liberté ? C’est
probable. Elle s’agite. Ses cinq cents millions d’hommes vont être
entraînés dans le mouvement occidental, rompre notre pénible
équilibre séculaire, bouleverser le rythme économique de la
planète, peut-être nous imposer à leur tour une immobilité qu’ils
mettront mille ou deux mille ans à reconquérir. Nous ne savons
rien. La complexité du monde actuel et futur nous déborde. La vie
gronde, la vie monte. Elle livrera ses formes à ceux qui vont
naître pour les consoler d’être nés.
Le Japon
I
Le Japon, il y a cinquante ans, n’était pas
sorti d’un état social qui rappelle celui du Moyen Âge occidental.
Les Daïmios se partageaient l’Empire en quelques grands fiefs
héréditaires. Entre eux et le paysan, une caste guerrière, les
Samouraïs, une caste sacerdotale, les moines du Bouddha. Au-dessus
l’Empereur que personne n’apercevait, l’intermédiaire mystérieux
entre le ciel et les hommes, et le Shogun, chef réel du pouvoir
politique et militaire et maître des corps et des bras. Pour lier
tout cela, une morale inébranlable. C’est notre société médiévale
tout entière, moins candide et plus policée [7] .
Quand la révolution de 1868 fit crouler comme
un décor l’appareil féodal qui dissimulait aux yeux de l’Occident
la vraie nature japonaise, l’Occident s’étonna de voir le Japon
s’assimiler si vite la forme extérieure des civilisations
européennes. D’un bond, il franchissait la route que nous avons mis
quatre cents ans à parcourir. L’Occident ne pouvait comprendre. Il
crut l’effort disproportionné aux moyens, et destiné à la faillite.
Il prit pour une imitation servile l’emprunt d’une méthode dont ses
longues habitudes d’abstraction artistique et métaphysique
permirent au Japon d’apprécier la valeur pratique avant de
l’utiliser. Le Japon garda l’essentiel de ce qui avait fait et fait
encore sa force sous l’armure des machines, des navires, des
canons, – sa foi en lui, sa fougue méthodique, son esprit d’analyse
et de reconstruction.
Le reproche qu’on adresse au Japon européanisé
n’est pas nouveau. On l’avait accusé de tenir de la Chine, et par
la Chine de l’Inde, sa religion, sa philosophie, son art, ses
institutions politiques, alors qu’il a tout transformé, tout
transposé, tout refondu au moule d’un esprit sauvagement original.
Si on remontait aux sources de l’histoire, on ne trouverait pas un
peuple, hors des tribus primitives, auquel un autre peuple n’ait
transmis l’essentiel de ses acquisitions. C’est la merveille et le
réconfort de notre nature humaine. Par cette solidarité victorieuse
de toutes les guerres, de tous les désastres, de tous les silences,
tout ce qui porte le nom d’homme entend le langage de l’homme. La
Chaldée a fécondé l’Assyrie, qui a transmis la Chaldée à la Perse,
et, par la Perse, donné la main à l’Inde et à l’Islam. L’Égypte a
éduqué la Grèce, la Grèce a animé l’Italie, et par-dessus le Moyen
Âge, dirigé l’Occident moderne. Le Moyen Âge européen a rejoint les
Arabes à travers Byzance et l’Orient. La Chine, qui avait éprouvé
par l’Inde le contact de l’Égypte, de l’Assyrie, surtout de la
Grèce, a porté au Japon toutes ces forces mélangées pour qu’il en
disposât selon les enseignements de sa terre et de sa passion.
Quand, vers l’époque où se
Weitere Kostenlose Bücher