L'Art Médiéval
déjà
manifestées. Par bonheur pour le Japon, les peintres de la Chine
cherchaient à cette époque à régénérer leur vision dans l’étude
patiente et directe des animaux et des fleurs. Ils purent le
renseigner sur sa véritable nature, l’arracher au symbolisme
religieux pour lequel il n’était pas fait, le mettre à même de
poursuivre son individualisation sur les chemins que Toba Sojo
avait explorés avec tant d’audace. Mais la forte discipline
chinoise ne leur permit pas, heureusement pour l’esprit japonais,
d’aller tout de suite aussi loin que l’étonnant précurseur. Ils
apprirent d’abord l’architecture du paysage, ils regardèrent leur
pays avec une émotion sainte, ils virent apparaître des rochers,
des arbres brisés en zigzags, des montagnes déchiquetées. Une
rumeur roulait depuis le réveil à la vie, l’hymne rude après le
silence. Les poètes puissants de l’encre de Chine, Sesshiu, Sesson,
Soami, couvraient le papier blanc de ces taches noires sommaires
qui font passer pour la première fois, comme au fond d’un miroir
trouble retrouvé dans l’eau, des grues dans un ciel, des canards
sur une mare, les fortes lignes d’un paysage brumeux, chaotique et
boisé. Sesson y découvrait des apparitions fantastiques, drames de
l’espace et des lacs, barques errantes, oiseaux glacés par l’aube
sur des branches, arbres perdus dans le brouillard, et, par ses
abréviations puissantes, annonçait Kôrin. Sesshiu paraissait vivre
avec les bêtes et partager avec indifférence leur implacable
destin. Il aspirait à plein cœur la vie violente de la terre, il
était loin des hommes et semblait ne plus se souvenir des dieux. Il
ramassait dans ses sombres éclaboussures les forces centrales qui
repoussaient du sol les coteaux hérissés de pins, la sève et le
sang qui striaient les rameaux ou gonflaient les cous et les
ventres, la faim qui durcissait les becs, le vol brutal qui
rebroussait les plumes, la terrible simplicité des formes
naturelles en présence de l’instinct, de l’espace et du vent.
Kano Motonobou, le fils du fondateur de
l’école chinoise, pouvait maintenant emprunter aux peintres
continentaux à peu près tous leurs sujets, leurs motifs, leur
composition. Il existait au fond un tel antagonisme entre l’esprit
des îles et l’esprit du continent, l’un résolument objectif et tout
à fait dépourvu de partialité sentimentale, l’autre employant si
souvent les aspects du monde à démontrer et à moraliser, que
Motonobou devait transmettre avant tout à ses élèves l’action
constructive profonde de Shiouboun et de Sesshiu. Il y apporta la
vigueur synthétique d’un génie prédestiné en qui la culture
archaïque ne put qu’asseoir sur des bases indestructibles le
sentiment puissant de la nature que le peuple japonais, depuis
quatre ou cinq siècles, était allé chercher au plus profond de son
sol gonflé de semences, de ses torrents dont il avait exploré tous
les trous et soulevé toutes les pierres, des arbres de ses bois
qu’il abattait et travaillait pour construire sa maison. Kano
Motonobou vit les oiseaux lustrer leurs plumes dans la rosée du
matin et les grues tomber vers le sol, d’un vol lent, en allongeant
leurs pattes grêles. Au delà d’une bête enivrée qui rentrait le cou
entre les ailes et que le froid de l’aube hérissait, il n’y avait
que des bateaux noyés dans le brouillard et l’étendue…
III
Cette austère vision devait se transformer
vite. Derrière la Chine étaient venus le monde musulman, l’Inde et
la Perse, les Portugais, les Hollandais. Il fallait que le Japon
dégageât son esprit de la robuste éducation chinoise ou que, pour
se soumettre définitivement à elle, il renonçât à s’exprimer.
Tandis que les maîtres de Kano, en marge de l’évolution des idées,
académisaient peu à peu la tradition continentale, – bien que
quelques-uns, Eitoku par exemple, un puissant poète de l’arbre,
déploient, dans la discipline observée, une personnalité
saisissante –, les éléments vivants du pays réalisèrent, dans
l’élan d’audace et de foi qui suivit l’édit protectionniste de
Yemitsou, fermant de nouveau le Japon, une forte concentration de
ses énergies éparses. Par un mouvement analogue à celui qui se
produisait au même instant dans l’Europe occidentale [9] , réalisant son expression classique en
France, en Hollande, en Espagne, en Flandre à la fois, il trouva
l’instant
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