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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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qu’imparfaitement l’esprit
japonais naissant de manifester sa vision, déjà plus directe et
plus incisive et plus nette que celle des artistes du continent.
Ces trois siècles obscurs, très lents, murés dans le moule
archaïque, ne lui permettent pas sans doute de s’affranchir encore,
puisque la vie monastique où œuvre l’intelligence est fermée à la
vie mouvante, à ce qui fait jouir, à ce qui fait souffrir, à ce qui
fait comprendre. Mais parfois, quand le moine quitte le cloître, au
contact des forêts de pins, des torrents, des mers foncées, de
prodigieuses éclaircies lui laissent entrevoir, et du premier coup,
avec une netteté qu’on ne retrouverait peut-être nulle part
ailleurs dans l’histoire, l’extrême aspect de son génie libéré de
toute entrave. Toba Sojo le peintre, Ounkei le sculpteur sont déjà
de vrais Japonais. L’un a tout à fait quitté les temples, il court
les bois, ramasse les insectes, espionne les souris et les
grenouilles, il accorde à toutes les bêtes une amitié perspicace et
joyeuse afin de retrouver dans leurs gestes ceux des hommes, qui le
divertissent beaucoup. L’autre, à qui les dernières sculptures des
grottes bouddhiques de la Chine ont offert un prétexte à délivrer
les forces inconnues qui dorment au fond de sa race, fait entrer
d’un seul coup sa violence disciplinée dans les effigies brutales
de ses divinités guerrières [8] . La vision
de Kobo Daïshi est tout à fait réalisée avec ces statues furieuses,
simples et presque pures, mais tendues en dedans pour le meurtre et
le combat.
    Le conflit n’est donc qu’apparent entre ces
deux œuvres contemporaines si différentes d’aspect. Elles se
rencontrent au point où l’individualité japonaise se dégage de la
statuaire pour s’affirmer dans la peinture. L’art abstrait des
constructions métaphysiques qui sont à l’origine de toute grande
civilisation touchait à sa fin. Ounkei est le dernier des grands
sculpteurs. La sculpture, l’art religieux et hiératique qui
correspond toujours à un état social très défini, ne put survivre à
l’anarchie féodale qui précéda l’invasion des Mongols. À mesure que
s’éteignait le souvenir des enseignements du dehors, les grandes
traditions baissaient dans les monastères. Les guerres civiles
déchiraient le pays. La religion perdait sa fraîcheur primitive
pour devenir un instrument de domination politique. Tandis que le
Mikado représentait encore aux yeux du peuple le vieux shintoïsme
des ancêtres, le shogounat, appuyé sur les prétoriens, opposait le
bouddhisme au culte traditionnel. La sculpture obéit aux lois de
dissociation que lui dictait l’état social. Elle se surchargea
d’incrustations, se compliqua de draperies, perdit, avec le calme
de ses lignes, toute sa spiritualité. C’est seulement au
XVII e siècle qu’elle retrouva, pour dresser ses effigies
de moines de bois peints, entre leurs profils sévères unis par de
fuyants passages qui les enveloppent de force et de sécurité, un
peu du rayonnement des Bouddhas accroupis qui, depuis huit cents
ans, inclinaient leur face apaisée vers les fidèles et levaient
leurs doigts purs pour leur enseigner la sagesse.
    La peinture, au contraire, n’eût pas vécu sans
l’invasion. L’âme japonaise, qui avait perdu sa base religieuse et
à qui Toba Sojo apportait trop tôt sa base populaire, dérivait de
sa route et s’anémiait au service des grands. Avec l’école de Tosa,
fondée au XIII e siècle par Tsounétaka qui se réclamait
du vieux maître archaïque Motomitsou, sa ténacité dégénérait très
vite en minutie, sa science en adresse, sa finesse en préciosité.
Quand elle aboutit aux miniatures académiques où la puérilité des
gens de cour satisfaisait ses goûts vieillots, l’esprit national
était délivré depuis longtemps de son influence atrophiante.
Assailli par les barbares dès sa sortie du couvent, touché en même
temps par la vie innombrable et par les idées neuves qu’apportait
l’invasion, le Japon, fatigué de tourner en cercle dans le même
espace fermé, laissa venir les vents du large.
    Quand le vieux Kano Masanobou, impressionné
par l’œuvre du Chinois Josetsou fonda, vers la fin du
XV e siècle, la grande école de Kano, et fit appel, pour
combattre l’académisme étriqué de Tosa, aux traditions
continentales, il obéissait aux tendances que son maître Shiouboun,
et Sesshiu, et Soami, et Sesson, et Shiougetsou avaient

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