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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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l’entraînement
général qui donna à toute l’Asie orientale cet art impersonnel,
secret, et d’une spiritualité si pure dont il lui fallut dix
siècles pour se dégager tout à fait.
    À dire vrai, c’est sur la Chine que la vague
bouddhiste s’attarda le moins longtemps. La Chine reprit très vite
ses habitudes de méditation positive à qui ce bref élan d’amour
allait donner encore plus de profondeur et de poids, comme il
arrive au lendemain d’une passion douloureuse et trop clairvoyante.
Elle se tourna de nouveau vers la mort, et comme ceux qui avaient
creusé sous ses yeux les montagnes lui avaient appris à dégager du
chaos la forme architecturée sur qui la lumière et l’ombre
répandent l’esprit de la vie, elle put donner au poème funèbre
qu’elle chanta pendant mille ans, du VII e au
XVI e siècle, une plénitude et une gravité d’accent qu’on
avait oubliées depuis l’Égypte, quelque chose de lourd, de
catégorique et d’assis, et comme la conclusion dernière d’une
intelligence qui a fait le tour d’elle-même, et n’a pas découvert
une seule fissure par où le doute puisse entrer.
    On ne trouve pas, sans doute, dans les statues
funéraires de la Chine, cette illumination secrète qui monte des
régions profondes des colosses égyptiens pour unir au niveau de
leurs surfaces ondulantes l’esprit de l’homme à la lumière. Le
peuple chinois, maître de son sol et de ses cultures, n’a jamais
assez souffert pour chercher dans l’espoir constant de la mort la
liberté intérieure et la consolation de vivre. Il regardait la mort
avec placidité, sans plus de frayeur que de désir. Mais il ne la
perdait pas de vue, ce qui donnait à son positivisme une formidable
importance. La méditation sur la mort fait voir les choses
essentielles. L’anecdote où l’on se perd quand on est tourné vers
les aventures de la vie, quitte l’esprit pour toujours. Il ne
s’arrête plus à rien de ce qui intéresse et retient la majorité des
hommes. Il sait qu’il s’écoule tout entier comme le jour qui passe
entre deux battements de paupière et que c’est à la lueur de cet
éclair qu’il doit saisir l’absolu. Et c’est parce qu’il n’aperçoit
rien au delà de la vie que son hymne à la mort ramasse tout ce
qu’il y a d’immortel dans la vie pour le confier à l’avenir.
    La sculpture funéraire grandit avec la
puissance chinoise et déclina quand la puissance chinoise pencha
vers le déclin. Des tombes des T’ang à celles des Mings, les deux
dynasties extrêmes de la Chine à son apogée, le désert chinois, le
désert jaune et rouge qui ondule faiblement vers les chaînes
éloignées où dorment le cuivre et le fer, le désert chinois vit
surgir des formes massives, hommes, éléphants, chameaux, béliers,
chevaux, autruches, les uns debout, les autres couchés, tous
immobiles et qui veillaient sur le sommeil des empereurs [6] . Tout entière, la plaine était une œuvre
d’art, comme un mur à décorer dont les sculpteurs utilisaient les
courbes, les saillies, les perspectives pour donner aux géants de
pierre leur valeur et leur accent. On les voyait venir de
l’horizon, marchant comme une armée, gravissant les collines,
descendant dans les vallons, insoucieux, dès qu’ils s’étaient levés
pour la marche ou la parade, des herbes et des ronces qui
recommençaient à croître aussitôt les tailleurs d’images disparus.
Les monstres se suivaient et se regardaient, les lions tapis
assistaient au passage des tributaires que masquaient et révélaient
tour à tour les ondulations du sol, une foule, seule et silencieuse
dans la poussière et sous le ciel, dressait des formes séparées,
absolues et définitives comme pour porter à la fin de la terre,
alors que le soleil même serait éteint, le formidable témoignage
que l’homme avait passé là.
    Partis avec les tombeaux des T’ang, les
bas-reliefs puissants qui font penser à une Assyrie visitée par la
Grèce, de la vision la plus directe, condensant peu à peu leur
science dans une expression de plus en plus sommaire, les
sculpteurs chinois étaient arrivés, sous les Song, à concevoir
l’objet comme une masse si remplie, si dépourvue de détails et
d’accidents, si dense et abrégée, qu’elle semblait porter le poids
de trente siècles de méditation métaphysique. Ils pouvaient
désormais se permettre toutes les stylisations, toutes les
déformations, toutes les audaces nécessaires à

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