L'Art Médiéval
christianisait
l’Europe, la Corée transmit au Japon, avec le bouddhisme, la
philosophie et l’art des Chinois et des Indiens, il était tout à
fait dans la situation de la Grèce dorienne vis-à-vis de l’Égypte
et de l’Asie occidentale. Silencieux comme elle, il ignorait comme
elle qu’il eût trouvé, en fouillant ses tombeaux, avec des
statuettes informes, les traces de sa vie ancienne. Bien qu’il
divinisât les forces naturelles, le shintoïsme avait proscrit
l’image. C’était sans doute là un point de dogme étranger au sol du
Japon et venu comme le bouddhisme d’un de ces éléments ethniques
qui contribuèrent à le former, Mongols, Malais, Aïnos. Le Japon ne
l’accepta certainement qu’à contre-cœur. Dès que le bouddhisme eut
ouvert ses sanctuaires à tous les dieux du shintoïsme fixés dans le
bronze et le bois, les Japonais reconnurent en eux l’image de leurs
véritables désirs.
Mais tant que dura l’agglutination des
matériaux primitifs de la race, ses artistes ne se dégagèrent pas
des besoins de la Corée, des volontés immémoriales des Indous et
des Chinois. Leurs dieux assis aux yeux baissés, aux mains
ouvertes, sont comme un bloc rond et pur modelé par la lumière.
L’esprit qui les habite coule de partout sur eux pour les
envelopper de solitude et de silence. On les dirait reliés à
l’espace et recueillant sur leur écorce fluide les vibrations
harmoniques qui leur viennent de tous ses points. Sont-ils
Japonais, Indous, Chinois ? Ils sont bouddhiques. C’est à
peine si, au VIII e siècle, la sculpture religieuse, avec
le vieux statuaire Kobo Daïshi, commence à révéler la germination
sourde du vrai sentiment national. Dans ses statues de dieux
guerriers, d’une énergie si rayonnante, il y a comme une douceur,
comme une violence
arrêtées
qui sont déjà purement
japonaises. Il se refuse à se livrer. Quels que soient sa ferveur
et sa colère et l’élan de son cœur, le Japonais, quand il aura
conquis sa vraie nature, en dominera l’expression.
Les besoins généraux qu’ils ne raisonnent pas
dictent aux hommes qui croient les diriger leurs décisions les plus
libres en apparence. Quand le Japon ferma ses ports, à l’heure où
les Foujiwara prenaient le pouvoir, c’est qu’il voulait saisir en
lui, au milieu des courants mêlés des migrations militaires et des
échanges maritimes, le sens de son propre effort. Ce peuple ne
marchande ni sa force de recueillement ni sa force d’expansion. Dès
qu’il s’aperçoit qu’il s’est trop retranché du monde, ou qu’il a
trop agi, il tend tous ses ressorts pour épuiser d’un coup le
besoin de repos que lui donna l’action, l’envie d’agir qu’il amassa
dans le repos. Il part sur de nouveaux chemins avec une frénésie
telle qu’il doit s’arrêter soudain pour revenir sur ses pas et
faire patiemment, en tournant le dos à l’horizon, l’inventaire de
ses conquêtes. Au IX e , au XVII e siècle, il
interdit à l’étranger ses rades, une fois pour s’assimiler le
bouddhisme et l’Inde, une autre fois pour étudier en lui le
retentissement profond des invasions mongoles et des premières
incursions des navigateurs occidentaux. Et il parvient aux étapes
décisives de son génie créateur à une heure à peu près également
distante de celle où il se ferma et de celle où il se rouvrit.
II
L’archaïsme qui suivit la première fermeture,
le classicisme qui suivit la seconde se développèrent l’un et
l’autre dans la même atmosphère de quiétude et de travail. La vie
politique se concentra dans une capitale unique, Nara pour les
Foujiwara, Yedo pour les Tokugawa. Le peuple, jusqu’alors guerrier,
confia le soin de sa défense aux classes militaires afin
d’exploiter en sécurité les richesses des torrents et des côtes et
de défricher le sol. Et la paix brusque produisit ses floraisons
habituelles.
C’est par les symphonies effacées qui nous
restent de ces premiers âges de concentration intellectuelle où le
bouddhisme, peu populaire, s’enfermait dans les couvents pour
enluminer au fond du silence les vieux kakémonos de soie, que le
Japon vit monter du dedans de lui ses réalités véritables. À la
minute que résume l’art de Kosé Kanaoka, par exemple, l’hiératisme,
le rayonnement spirituel de la peinture bouddhique, la patine d’or
qui introduit dans la sombre harmonie des rouges et des noirs l’or
des fonds et des auréoles, n’empêchent
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