L'Art Médiéval
maisons
crépies de boue, des hommes recouverts d’une croûte jaunâtre par
laquelle ils continuent le sol. La terre jaune va jusqu’au cœur des
villes et le perpétuel échange de la misère, de la crasse, des
denrées portées par les caravanes et les convois fluviaux, imprime
à toute la masse profonde un mouvement compact et lent ne sortant
jamais du même cercle. L’horizon est aussi borné que la vie et
toute l’étendue et toute la durée du monde s’agglutinent en un
bloc.
Agriculteur ou plutôt jardinier, et depuis dix
mille ans peut-être, cultivant son carré de terre avec une lente
patience, une sollicitude lente, y accumulant soigneusement
l’engrais humain, tirant d’un espace infime sa nourriture, celle
des siens, celle de ses bêtes, toujours penché sur son sol mou,
habitant souvent sous sa surface, toute sa peau, ses pieds, ses
mains imprégnés de lui, le Chinois en connaît le poids, la
consistance, le degré d’humidité et de sécheresse, le goût. Il
entend le murmure sourd qu’elle a sous la poussée des germes. On
dirait que toute son imagination sensuelle s’est concentrée dans le
désir de manier cette terre onctueuse et les matières qu’il en
tire, le jade gras, la cornaline, le cristal, l’agate, la
calcédoine, les pierres dures dont il sait utiliser les taches,
suivre les veines, le kaolin et le silex, la terre blanche, le
cuivre et l’étain coulés ensemble pour enfanter le bronze noir. Il
connaît si bien la matière, il sait à tel point quelles sont ses
mœurs, ses habitudes, ses manies, qu’il la fait fondre ou cuire en
ménageant ou en forçant le feu pour la rendre plus ou moins dure,
plus ou moins cassante, la veiner, la mêler à d’autres matières, y
faire ruisseler la poudre métallique liquéfiée par la chaleur, ou
la fendre de craquelures. L’airain, où il sait couler de profondes
moires d’or vert, d’or jaune, d’or rouge, d’or violet, des bleus
irisés et suspects comme des eaux dormantes, l’airain pesant,
dense, sonore et dur prend sous sa main des formes écrasées et
ventrues, des aspects de blocs pleins dont les incrustations, la
rugueuse écorce, les entrelacements de peaux gluantes, d’épines et
de tentacules, laissent intact et pur le profil lourd. Ses dragons
boursouflés, que soulève la palpitation gargouillante des monstres
marins, ses escargots, ses crapauds gonflés de pustules, sont
repoussés du dedans du métal avec tant de sûreté qu’ils semblent
attachés à lui par leurs viscosités et leurs ventouses. Il broie en
poussière impondérable, pour la fondre et la couler entre d’étroits
réseaux de cuivre ou d’or le corail et la turquoise, et ses bleus
obscurs, ses verts mats, ses rouges opaques et sourds enferment
dans l’émail assombri par la flamme, des fleurs ensanglantées, des
feuilles épaisses, le plumage rutilant et doré des oiseaux. Sur la
porcelaine, enfin, il définit ses dons de peintre qui n’avaient
jamais pu entrer tout à fait dans le siècle et se dégager
complètement des procédés calligraphiques d’où ils étaient nés dans
les couvents.
Alors il fait entrer la couleur dans la pâte,
l’incorpore au glacis des silicates vitrifiés, y projette en traits
aussi fins que des fils de toile d’araignée ou larges comme des
pétales, ses jardins puérils, lacs, ruisseaux et cascades, kiosques
et ponts, papillons, libellules, ses chères campagnes engraissées
où fleurit sa science des ciels, des vents et des cultures, azurs
lavés de pluie, vols emportés par la rafale, nuées, branches
fleuries, roseaux, corolles aquatiques. La fleur, l’insecte, tous
les tissus vivants, l’aile, l’étamine, l’antenne, le pollen
pulvérulent, toutes les mœurs de l’air, ses transparences
insondables, ses brusques opacités, ses infinis de nuances de
l’aube à la nuit, de l’averse à la poussière et de la lune pâle au
soleil sombre, il a transposé sur le fond mouvant des bleus, des
verts, des rouges, des roses, des jaunes, des violets, des blancs,
des noirs, le décor multiple où se déroulent les travaux attentifs,
concrets et monotones de ceux qui cultivent le sol. Le jour est-il
clair et les jardins riants, les peintures trempées de rosée,
fraîches comme des aquarelles, tranchent sur les beaux fonds glacés
et translucides. Le ciel couvert noircit-il la surface des eaux,
alors les branches, les feuilles, les dragons, les paysages
surgissent des infinies profondeurs opaques et
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