L'Art Médiéval
d’équilibre où l’esprit dégagé des entraves rituelles et
maître du rythme nouveau, offrait son abri sûr à la foule endormie
des idées prêtes à se répandre sur le multiforme avenir. Une
architecture nouvelle va recréer la statuaire, arracher à la
sévérité des précurseurs l’innombrable style décoratif où le Japon
épuisera en deux cents ans les ressources de sa faune et de sa
flore, et exiger avant sa chute que les plus humbles arts de
l’industrie ornementale naissent en même temps de l’ingéniosité de
ses artistes pour se disperser dans le peuple, comme la poussière
soulevée retombe sur la plaine quand le temple s’est écroulé.
Lorsque Hidari Zingoro, architecte, ciseleur, forgeron, marteleur
de cuivre et de bronze, nielleur, brodeur de bois, laqueur,
décorateur, menuisier, jardinier, édifiait les temples de Nikkô sur
l’ordre du Shogûn Yemitsou, il prenait possession, au nom de la
race elle-même, des réalités intérieures qu’elle se découvrait tout
à coup. Ces monuments, dédiés aux mânes du héros national Yeyas,
fixèrent l’image abrégée et définitive du désir d’un peuple entier
qui se libère par eux pour se déployer dans tous les sens.
Sur ce sol convulsif où les éruptions
volcaniques, les tremblements de terre et les raz de marée
détruisaient si souvent en quelques secondes les grandes villes
assises entre la montagne et la mer, le mur de pierre eût écrasé
les hommes en s’effondrant, chaque fois que le feu central crevait
l’écorce. La charpente de bois simplement posée ne donnait pas
prise aux secousses. Et les sanctuaires s’élevaient au milieu des
forêts de cryptomérias et d’érables où leur fragilité inébranlable
demandait à la jeunesse éternelle des arbres le témoignage et le
soutien de sa vigueur. Le temple est mêlé à la forêt, qui entre
dans le temple. Il est conçu comme un tableau. Souvent des dieux
souriants, couverts de mousses et de fleurettes et rangés à
l’infini des deux côtés de la route, mènent vers lui le voyageur.
Des avenues d’arbres serrés, noirs et droits, conduisent jusqu’aux
escaliers des portiques. Dans les branches horizontales planent les
toits de bronze vert, les murailles de laque rouge montent entre
les troncs nus, la verdure sombre des cèdres traverse les hivers
pour soutenir jusqu’aux étés l’harmonie monumentale. S’il se
trouve, au milieu des pins, quelques bouquets de châtaigniers, de
vernis, de chênes, l’automne les mettra d’accord avec les dragons
d’or qui rampent, avec les traînées d’or que les ornements des
corniches font serpenter discrètement. Le bruit des cloches et des
gongs se mêle au bruit des cascades, au bruit des feuilles remuées.
Le temple de bronze et de bambou pénètre au cœur des taillis, et si
des troncs épais, si de larges ramures se rencontrent sur le
chemin, on les entoure de murs de laque pour qu’ils habitent dans
le temple, au centre des cours intérieures d’où leurs bras
jailliront pour aller rejoindre la forêt.
Elle entre dans les salles aussi, la forêt
sombre, par toutes ses fleurs, tous ses arbres, ses mousses, ses
sources, ses oiseaux, ses reptiles et les plus frêles et les plus
humbles des insectes sur qui chaque feuille s’étend. En laque
rouge, en laque d’or, en incrustation de métal, de nacre ou
d’ivoire, elle écartèle ses rameaux sur la laque des cloisons
sanglantes ou noires, fonds d’aurores ou fonds nocturnes, elle y
laisse pleuvoir ses pétales et ses pollens, elle fait voler,
ramper, bondir les bestioles innocentes ou mauvaises à qui toute
herbe sert d’abri, qui creusent des galeries dans l’humus
souterrain et dont le bourdonnement fait frémir les jours de
soleil. La nature n’est plus qu’un réservoir inépuisable, pullulant
de petites formes vivantes sous le profond amas des branchages, où
l’artiste du Nippon n’a qu’à fouiller au hasard pour y ramasser ce
qu’il destine à orner la maison des hommes ou la maison des dieux.
L’artiste du Nippon, désormais, ne pense plus que l’art puisse
avoir une autre fonction. Elle fait participer à sa vie religieuse,
et surtout à sa vie intime – car sa vie religieuse n’est qu’un
rouage nécessaire au maintien de l’armature sociale –, toute la
fourmillante vie du monde environnant en communiquant avec lui par
les kakémonos, les paravents, les bibelots qui meublent sa demeure,
les estampes qu’on se passe de main en main, par les
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