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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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neiges, des
cascades, des arbres fruitiers, des cigales toujours vibrantes, ils
acquirent en masse et naturellement, du dernier des serfs au plus
puissant des Daïmios, le sentiment des formes et des harmonies de
la terre. Depuis le peuple grec dont ils n’ont pas sans doute la
puissance d’illusion et la vision ennoblissante, mais qu’ils
rappellent par tant de côtés, leur vie demi-nue, rude et saine,
leur optimisme, leur tendance à diviniser les forces naturelles et
l’héroïsme humain, la condition des femmes, des courtisanes
philosophes, leur théâtre masqué, leur conception sinueuse et
linéaire de la forme, nul autre peuple ne fut, en son ensemble,
artiste à ce degré-là. C’est le pays où les cultivateurs quittent
leurs champs, emmenant les petits et les femmes et portant des
provisions de bouche pour aller, au printemps, quelquefois à vingt
lieues de leur village, voir fleurir les cerisiers au bord d’un
torrent.
    L’étrange, c’est que ce peuple toujours ouvert
aux sensations extérieures, par conséquent toujours
impressionnable, toujours vibrant, reste toujours maître de lui. Il
ressemble à sa terre riante où couve le feu souterrain et dont cent
volcans déversent les laves. Il est affable et souriant, et s’il
éclate parfois en violences furieuses, ces violences restent
toujours dirigées méthodiquement. Il raisonne jusqu’à sa colère,
son effroyable bravoure n’est qu’une exaltation lucide de sa
volonté. Il stylise son émotion même. Et son art, fait d’élan
précis, d’emportement lyrique enfermé dans une forme nette bien que
saccadée quelquefois, ne s’abandonne pas au flot du merveilleux
instinct qui le dirige. Égoïste au fond, et jaloux de garder pour
lui ses conquêtes, ce peuple ne veut en donner qu’une image
transfigurée.
    C’est le seul point commun que l’art japonais
garde avec l’art chinois, dont il reste aussi différent que les
îles découpées, violentes, gracieuses, du continent massif, un et
figé. De l’un à l’autre, il y a la distance qui séparait la Grèce
investigatrice et éprise des formes en mouvement, de l’Égypte
presque immobile et amoureuse des formes pleines, subtiles et
fermées. Autant la Chine est lente à se mouvoir, faite d’un bloc,
secrète et lourde, autant le Japon, nerveux, crispé comme les
cèdres de ses bois, est mobile et innovateur. La religion des
ancêtres que gardèrent les Japonais avec les premières notions
morales qui leur venaient du voisin n’est pas, comme chez lui, un
hommage à l’immuable, mais le culte des puissances de volonté et de
moralité déposées en eux par les morts [10] . En
fait, il se traduit par l’amour des enfants qui représentent à
leurs yeux une accumulation d’énergie plus grande que la leur,
parce que les enfants voient plus de morts quand ils regardent
derrière eux.
    Tout bouge, autour des Japonais [11] , les floraisons des jardins qu’ils
cultivent avec une passion inquiète, les nuances du sol, les
brouillards qui modifient à tout instant le profil des montagnes,
se traînent par lambeaux pour laisser apparaître ou dissimuler tour
à tour les toits d’une ville fantôme, un lac, une sombre étendue
tachée de voiles blanches, un cône éclatant qui s’élance dans la
lumière, les forêts de pins noirs, les forêts rouges des automnes.
Il vit sur une terre qui ne cesse pas de trembler, et les
crépuscules changent suivant le feu des volcans. L’art japonais ira
saisir, dans le changement universel, les caractères de l’objet,
mais de l’objet en mouvement, qui vit, et qui se déplace et qui
donne, malgré sa forme à peu près constante, la sensation de
l’instabilité. Il est aussi loin de la mobilité du récent
impressionnisme occidental qui a fixé avec tant de vivacité les
variations de la lumière, que de l’immobilité des Chinois. Le
Français qui travaillait sur la nature finissait par perdre de vue,
à force de fidélité à la sensation directe, les caractères de
l’objet. Le Japonais, qui compose de souvenir, ne voit plus qu’eux.
L’analyse, là, va jusqu’à la dissociation [12] , et la
synthèse, ici, jusqu’au schéma.
    L’art des Japonais tient à tel point à
caractériser les choses que nos yeux d’Occidentaux ne savent pas
toujours différencier chez eux une œuvre de caractère d’un schéma
caricatural. La caricature apparaît au moment où l’élément
descriptif tend à absorber l’ensemble au lieu de lui

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