L'Art Médiéval
taillis de
cyprès et de platanes, apparaissent comme des souvenirs déjà noyés
d’incertitude. Bleus de turquoise, roses éteints, verts pâles,
jaunes effacés, le mirage a pris l’apparence d’une aquarelle
aérienne peinte avec la vapeur d’eau sur le fuyant horizon par
l’imagination des artistes qui suivent, de caravansérails en oasis,
le sentier des caravanes. De près ce sont des murs qui croulent,
des coupoles lézardées, des minarets dont les entrelacs blancs et
noirs s’écaillent. Ce sont des ruines. Mais ce sont des ruines
fraîches. L’émail qui les revêt, le vieil émail chaldéen que la
Perse ancienne avait fait connaître à la Chine et que la Chine
rapportait à l’Iran par les hordes tartares, l’émail a gardé,
par-dessus l’enduit silicaté qui recouvre la brique, tout son éclat
glacé. Des violets, des bleus, des bruns, des blancs d’ivoire, des
lilas, des jaunes, des verts y brillent purs ou s’y combinent en
buissons de roses, en fleurs d’anémones ou d’iris par-dessus les
inscriptions blanches et les arabesques d’or.
La chair pulpeuse, l’épiderme nacré des fleurs
gonflent les guirlandes vivantes qui se marient là où l’arabesque
abstraite des Arabes affirmait ses combinaisons. Sous la haute
ogive des portes encadrées d’une croûte d’émaux où les turquoises,
les améthystes, les lapis font ramper les phosphorescences de leurs
lueurs atténuées, sous la couronne intérieure des dômes mollement
arrondis qui ne connaissent pas l’élan mystique du désert, les
ornements alvéolaires ruissellent de stalactites. Parfois,
l’intérieur des coupoles miroite de plaques de verres et de prismes
associés.
L’époque ancienne où l’on tendait sur les
murailles les tapis persans qui ressemblent à des labours sombres
pétris de fleurs écrasées, était oubliée depuis longtemps et la
brique émaillée miroitait à leur place quand le grand Abbas, à la
fin du XVI e siècle, fit élever d’un coup la féerie
monumentale d’Ispahan. L’école persane de peinture qui naquit à ce
moment-là n’eut qu’à écouter les conseils des décorateurs précieux
des mosquées émaillées pour atteindre par Djahangir, par Mani, par
Behzadé surtout, la plus haute expression vivante qu’ait connue
l’art musulman. Toute l’industrie du potier, la plus ancienne et la
plus durable partout, lui apportait aussi sa contribution
nécessaire. Le pot persan, c’est déjà de la peinture cristallisée
dans le feu. Son décor, qui n’est pas très riche en images, est
sans doute le plus riche en stylisation toujours neuve des sommets
de la sensation. Du monde sensible, il n’y reste que ce qu’il a de
plus profond dans la couleur, de plus immatériel dans l’objet et de
plus fuyant dans la forme. Ni le ciel, ni la mer, ni les fleurs n’y
figurent, mais des nappes de fleurs y pénètrent par leurs plus
fraîches corolles, de grandes étendues de ciel par leurs
moutonnements les plus nacrés, l’immensité des mers par leurs
surfaces miroitantes. En taches, en traînées, en gouttes, en
grappes, en moires, leurs éléments les plus somptueux et les plus
insaisissables y évoquent les fleurs et les ciels et les mers selon
les harmonies errantes dont ils peuplent le souvenir. La rare
peinture persane arrête dans les formes mêmes cette fugitive
splendeur. Elle fleurit soudain pour se flétrir vite et mourir en
deux siècles parce qu’elle avait répandu trop de parfum et d’éclat.
Ce fut comme un songe enchanté où se confondirent pour une heure
l’ardente sensualité de l’Inde, le maniérisme des Persans, la
science lente des Chinois, la grande rêverie féerique des
Arabes.
Océan profond qui, des déserts d’Arabie aux
îles heureuses du Japon et du Moghreb aux Indes, roule avec des
saphirs et des perles toute la luxure ingénue, toutes les ivresses
candides, toutes les puérilités, tous les sourires, toutes les
imaginations éperdues et touchantes des humanités primitives
brusquement transportées au delà des portes vermeilles du paradis
de l’art !… C’était un Éden où des tigres foulaient des
prairies pleines de fleurs, où des hommes et des femmes en robes de
soie verte, rouge ou bleue, des hommes et des femmes à nez fins, à
petites bouches, à très longs yeux noirs, à longues figures ovales,
s’étaient assis en cercle sur de beaux tapis brodés. Sur les fonds
tout en or montaient des arbres en fleurs. Jamais assez de fleurs,
des fleurs
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