L'Art Médiéval
pressenti par Eschyle et désiré par Jésus.
S’il était resté tel que le voulait saint Paul
et que le définissaient les Pères de l’Église, le christianisme eût
dû renier les interprétations plastiques des idées qu’il apportait.
Mais comme il voulait vivre, il obéit à la loi qui nous force à
donner à nos émotions la forme de nos visions. À Rome, alors qu’il
tâtonnait dans l’ombre, essayant d’arracher sa doctrine à l’amas
confus des vieux mythes, des figures gravées ou peintes
apparaissaient dès le premier siècle aux murs des Catacombes. Elles
annonçaient sans doute de nouveaux dieux, mais leur forme restait
païenne, grecque même le plus souvent, car c’est l’esclave oriental
qui propageait la religion de Galilée à Rome. Devenu gauche entre
les mains des pauvres gens, l’art qui bâtit au-dessus du pavé des
thermes et des amphithéâtres et couvre les villas de fresques et
les jardins de statues, hésite au fond des ténèbres. L’âme
populaire ne se taira que le jour où le christianisme officiel
sortira de terre pour s’emparer des basiliques romaines et les
décorer d’emblèmes pompeux. Il lui faudra dix siècles de
recueillement pour trouver son expression réelle et imposer aux
hautes classes la revanche de la vie profonde et de l’espoir
libéré.
L’organisation de la théocratie nouvelle, les
invasions répétées des barbares, la faim, la torpeur, la misère
affreuse du monde entre la chute de l’Empire et le temps des
Croisades, ne permirent à aucun des peuples de l’Europe occidentale
de prendre racine sur son sol. En revanche, bien que chaque marée
humaine emportât les villes nouvelles construites sur les ruines
neuves, les tribus descendues du Nord subissaient peu à peu la
domination de l’unité morale dont l’appareil des civilisations
antiques offrait à l’idée chrétienne le cadre imposant. Par-dessus
le malheur des peuples, une alliance instinctive rapproche les
chefs militaires ralliés à la lettre du christianisme organisé, du
haut clergé dont l’esprit, à se frotter contre eux, devient de plus
en plus rude. Quand Grégoire le Grand, quelques années après
Justinien, ordonne de détruire ce qui reste des vieilles
bibliothèques et des temples des anciens dieux, il consacre
l’accord de Rome et des barbares. L’âme antique est bien morte. Les
monarchies orientales recueillent ses derniers échos, les couvents
remuent sa poussière. Les communautés religieuses étaient restées
jusqu’aux Croisades les seuls îlots clairs dans l’Europe obscure.
Un luxe d’élite cloîtrée, une civilisation de serre représentaient
soixante siècles d’efforts, de sensibilité, de réalisations
vivantes. Thèbes, Memphis, Babylone, Athènes, Rome, Alexandrie
tenaient entre les quatre murs d’un monastère, en de vieux
manuscrits feuilletés par des hommes durs qui opposaient le
contrepoids indispensable de la Règle aux impulsions épouvantables
d’un monde retombé à l’état primitif. Mais c’est autour de ces
murs, dans les vallées écartées, hors des grandes routes du
massacre, que se groupait çà et là le peuple des campagnes pour y
façonner l’avenir. Le nord des Gaules, aux temps mérovingiens, dans
le chaos des mœurs, des races, des langues qui s’agitait sur les
villes incendiées et les moissons détruites, n’eut pas d’autres
centres d’action. Dans le Midi, au contraire, la tradition vivait
encore profondément. Les aqueducs, les arènes, les thermes, les
temples étaient debout au milieu des campagnes que les bois
d’oliviers argentent. Les amphithéâtres ouvraient encore dans la
lumière leur courbe pure. Les sarcophages sculptés bordaient
toujours les voies ombragées de platanes que l’hiver blanchit en
les dépouillant de leurs feuilles et qui restent blancs sous la
poussière de l’été. Sur la terre brûlée de la France méridionale
qui s’inscrit sur le ciel par les lignes sûres qu’on retrouve au
bord des golfes grecs, l’art gallo-romain unissait naturellement au
positivisme de Rome l’élégance hellénique et la verdeur gauloise. À
peine s’il déclinait quand passèrent les Arabes que ce sol ardent
adopta. Rien ne put arrêter sa fièvre. L’Asie nomade mêla son sang
à la Gaule gréco-latine dans la violence du soleil. Ce fut un monde
étrange, cruel et pervers, mais de vie intense, égalitaire,
irrépressible, et plus libre et plus profond quand la dissociation
de l’Empire de
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