L'Art Médiéval
rencontrant maintenant partout la mer
ou des barrières de montagne ou les murs de Byzance ou les
escadrons francs, il faut qu’il trouve une autre issue, et,
l’horizon fermé, qu’il monte. Il étouffe maintenant sous la coupole
byzantine, il s’étale et s’étend sous le plafond des
Égyptiens [22] . Le plein cintre trapu des basiliques
est devenu déjà l’arc brisé qui s’élance. La coupole sphérique
montera comme lui. Elle retrouvera les vieilles formes assyriennes
que la Perse sassanide a prolongées jusqu’au seuil de l’Islam.
Ovoïde, élancée, donnant au regard perdu l’illusion que le rêve
glisse avec elle et suit sa courbe fuyante pour s’échapper à son
sommet, elle s’étrangle à la base pour masquer son point d’appui et
réaliser le mystère de l’infini suspendu. À partir du
XIV e siècle, les colonnes disparaîtront, la nudité des
grandes nefs évoquera le désert avec l’horizon circulaire et la
voûte du ciel pour seul repos aux yeux levés. Dehors, au-dessus des
murs verticaux aussi dépouillés que le sol, on la voit monter,
toute pure, accompagnée du vol des minarets d’où, par la voix des
muezzins, tombent les paroles d’en haut à l’heure de la prière.
Le mysticisme des nomades avait trouvé son
abri. Le Turc seul, qui reflétait son âme épaisse aux tons ternis
des faïences persanes, gardait la courbe byzantine avec la coupole
écrasée qui restait invisible sous les bouquets de cyprès noirs
d’où s’élancent les toits pointus des minarets cylindriques. Il
héritait sans le savoir de la gloire de Byzance, il ne voyait pas
le torrent des pierres blanches, bleues et roses ruisselant jusqu’à
la mer, s’allumer avec le matin et s’éteindre avec le soir les
dômes d’or qui retenaient jusqu’au bord de la nuit la flamme des
crépuscules. Mais, hors de lui, de l’Égypte à l’Espagne, les
architectes musulmans, s’ils changeaient au gré de leur génie la
distribution des dômes, le type des minarets tour à tour ronds,
carrés, octogonaux, lisses ou damasquinés, et la disposition des
nefs, s’attachaient d’instinct aux formes élancées des fenêtres et
des coupoles où l’aspiration mystique ne se limitait pas. Les
mosquées égyptiennes restaient aussi nues que l’esprit du désert,
les mosquées du Moghreb, de l’Espagne entrecroisaient leurs arcades
à voussoirs blancs et noirs et surélevaient les rangées de leurs
colonnes cylindriques pareilles à des taillis de palmiers à longues
palmes retombantes. La grande mosquée de Cordoue, des temps de foi
intransigeante, est une forêt presque obscure. On y sent la
présence, dans l’ombre qu’épaissit la fuite des fûts silencieux,
d’un infini terrible impossible à saisir.
II
L’artiste moghrébin, dans les mosquées, dans
les palais surtout, les alcazars, les alhambras d’Andalousie où le
souvenir énervé erre des salles rouge et or, noires, émeraudes,
bleu turquoise, aux grandes cours à colonnades, et des jardins
dallés où le parfum des citronniers, des mimosas, des orangers
alourdit l’air étouffant, aux ombrages immobiles sous lesquels les
bassins de marbre offrent à l’image des ifs de longs miroirs d’eau
pure, l’artiste moghrébin variait la forme des arcades et
diversifiait ses aspects de salle en salle et d’alcôve en alcôve.
Vide de formes animées, son cerveau cherchait à briser la monotonie
de ses visions plastiques en combinant sans repos les lignes
familières qu’il tordait dans tous les sens. Le plein cintre
rapprocha ses pointes, s’incurva en fer à cheval, l’arc brisé
s’allongea, se rétrécit, se raccourcit ou s’évasa, se chargea de
stalactites, d’alvéoles comme une ruche à miel, s’échancra plus ou
moins de festons et de dentelures. Et comme la formule s’épuisait,
l’arabesque vint qui mordit la pierre, fouilla les moulures de
plâtre où s’enchâssaient les vitraux de couleur, envahit
l’encadrement rectangulaire des arcades, fit serpenter ses flammes
jusqu’aux intrados bleus, rouges, blancs et or des niches, des
berceaux, des voûtes qui permettaient d’échapper à l’uniformité
torride du ciel et du sol extérieurs par les paradis multicolores
étendus dans l’ombre fraîche et le silence au-dessus des eaux
parfumées et des profonds divans.
Quand l’ornementation linéaire eut atteint son
plein essor, elle envahit la mosquée comme l’alcazar du bas des
murs jusqu’au sommet des coupoles. Dédaignant
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