L'Art Médiéval
idoles, à Byzance, triompheront un jour
devant l’histoire morale du monde comme ils triomphèrent, il y a
dix siècles, dans leur lutte contre ceux qui n’en voulaient pas.
Une religion résolument spiritualiste doit se passer d’images, sans
doute, au risque de déchoir, au risque de mourir, mais ce qu’il
importe de savoir, c’est s’il vaut mieux, pour nous, cultiver
l’esprit pur ou les images. On défend mal les Empereurs
iconoclastes quand on les montre encourageant l’art partout où il
se séparait du culte. L’art est un, il grandit dans une poussée de
foi vivante sans se soucier des étiquettes dont on l’affuble et du
rôle qu’on veut lui fixer, et si la religion meurt par la liberté,
l’art ne vit qu’en introduisant dans le monde, chaque fois qu’il se
manifeste, un peu plus de liberté. Défendre à l’art de s’alimenter
à une source quelconque, c’est tarir toutes ses sources à la
fois.
Si l’idolâtrie n’a pas sauvé Byzance, c’est
que Byzance n’était pas un commencement, mais une fin, un fruit
pourri de l’arbre grec. Mais c’est l’idolâtrie qui fit l’Égypte et
la Grèce et l’Inde, qui déchaîna la révolution ogivale, la
Renaissance italienne et flamande et qui plus tard, au seuil de
notre temps, suscita le sensualisme, le transformisme, l’admirable
enquête vivante de tout le dernier siècle européen. Toutes les
civilisations durables sont nées de l’idolâtrie, obligées qu’elles
ont été, pour réaliser leurs images intérieures, de demander à la
nature extérieure de leur livrer le trésor inépuisable de ses
renseignements. On ne peut exiger de l’humanité qu’elle habite
toujours au désert, alors que les peuples du désert eux-mêmes,
recherchent les oasis.
Il ne faut pas croire que chez les peuples
idolâtres, les esprits supérieurs se soient libérés de l’idolâtrie,
ils se sont libérés par elle. Ce sont eux qui, par elle, par les
rapports vivants qu’elle leur révélait, ont introduit dans le monde
la raison, non pas fin des choses, mais instrument incomparable
d’analyse et de libération individuelle. Seuls, les peuples
spiritualistes n’ont jamais pu se détacher des idoles métaphysiques
que le néant du désert imposait à leurs méditations, parce qu’ils
n’ont pas pu les saisir et les confronter avec la vie. Loin
d’arrêter le rêve, d’ailleurs, l’image, en même temps qu’elle lui
offre un point d’appui qui le maintient tout entier dans la réalité
humaine, l’élargit, parce que les relations qu’elle révèle font
soupçonner d’autres relations, désirer d’autres images, et sans
cesse tirer de la réalisation toujours morte l’hypothèse toujours
vivante. L’idolâtrie mène à l’expérience, et par elle à l’action.
Quand nous avons perdu l’équilibre, c’est à elle que nous allons
demander de nous enseigner à nouveau la forme et la vie. La science
est l’aspect actuel de l’éternelle idolâtrie. L’idolâtrie sauve le
monde quand il ne reste plus rien qu’un peu d’invisible poussière
des grands rêves sans contrepoids qu’ont vécus les peuples
prophètes façonnés par le désert.
Le Christianisme et la Commune
I
L’esprit sémitique, au déclin du vieux monde,
tenta de conquérir l’Europe par les apôtres du Christ, comme il
allait s’emparer de l’Asie occidentale et de l’Afrique par les
cavaliers de l’Islam. Mais la religion de Mahomet restait près de
ses sources, le désert, le ciel nu, la vie immobile. Elle pouvait
facilement garder sa forme originelle et spiritualiser jusqu’à son
expression plastique. L’Europe offrait à l’idée juive un cadre
moins bien fait pour elle. Le contact des terres cultivées, des
bois, des eaux courantes, des nuages, de la forme mobile et
vivante, devait imposer à la religion de saint Paul une forme
sensuelle et concrète qui la détourna peu à peu de son sens
primitif pour replacer dans la voie de leur destinée naturelle les
peuples de l’Occident.
L’empreinte, il est vrai, était prise. Malgré
le dualisme décevant qu’il fit entrer en elles avec la force de
pénétration de sa foi désintéressée, l’apostolat juif peupla la
solitude intérieure des masses oubliées par les civilisations
disparues. Son impitoyable aspiration vers la justice y fortifia
l’instinct social. Et c’est grâce à lui que l’esprit grec et
l’esprit sémitique effectuèrent lentement dans le creuset
occidental un accord
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