L'Art Médiéval
son action actuelle et
dans son devenir. S’il est une arme incomparable pour un esprit qui
le domine, il est la mort pour un esprit qui se laisse dominer par
lui.
L’art, comme la vie même, est un devenir
constant. Si la certitude scientifique se substitue un jour dans
l’âme de l’artiste au désir de certitude qui fait son tourment et
sa force, elle détruit en lui la nécessité de l’effort et brise
l’enthousiasme en remplaçant par la réalisation immobile le désir
sans cesse renaissant. Quand la mathématique s’introduit dans le
domaine des artistes, elle doit rester un instrument au service des
architectes afin de définir et de déterminer la logique des
constructions. Mais l’architecture ne peut prétendre qu’à adapter
un édifice à sa fonction utilitaire et suggérer par les directions
de ses lignes les aspirations les plus puissantes, comme aussi les
plus vagues, des grands sentiments collectifs. Elle n’a pas le
droit d’accaparer la forme en lui interdisant de sortir de
l’abstraction pure. Quand elle empêche la sculpture de se
développer et l’image peinte de naître, elle condamne le peuple
qu’elle exprime à ne jamais se dégager de la synthèse provisoire où
se déploya son effort, et par conséquent à mourir.
Ce qui fait sa grandeur fait sa faiblesse. Sa
réalisation la tue. Elle ne se renouvelle pas, puisque l’individu
ne peut briser les formules définitives où elle voulut s’enfermer.
La mosquée s’immobilise avec le monde arabe précisément à l’heure
où les peuples occidentaux sortent des rythmes collectifs. Et comme
c’est l’espoir de la découverte entrevue qui fait la puissance de
l’œuvre, elle prend dès ce moment-là un aspect découragé.
Si le désert révèle aux hommes l’unité de
l’esprit, il impose à l’esprit l’oubli des rares formes qu’il
présente. C’est de lui qu’est sortie la conception antisociale et
anticivilisatrice des deux mondes irréconciliables de l’âme
immatérielle et du corps matériel. Quand meurt l’esprit d’un peuple
qui ne sut pas trouver et dire son accord avec l’univers extérieur,
il ne reste plus rien de lui, quelle qu’ait été sa vaillance, et
l’esprit que les hommes suivent, c’est celui qui sut animer de sa
vie les formes de cet univers. Ce sont les rochers, l’eau, les
arbres, qui, à travers l’esprit des Grecs, ont fécondé l’Occident.
Chaque fois que l’histoire hésite, nous regardons vers les frontons
des temples où les hommes se reconnaissaient dans les dieux.
III
L’Arabe, il est vrai, n’interdit jamais tout à
fait à l’artiste la représentation de la vie animée qui tressaille
parfois furtivement aux murs des palais et des mosquées de
l’Espagne et du Maroc. Il obéissait seulement à la répugnance
instinctive pour tout ce qui est forme vivante, des peuples
monothéistes modelés par le désert. La religion ne comprime
l’instinct qu’aux époques de déchéance. Aux époques de force,
l’instinct l’entraîne où il lui plaît d’aller. L’art musulman
avait, en Égypte ou en Syrie, la nudité, la tristesse et la
grandeur du désert. Au fond des antres frais du Moghreb et de
l’Espagne où les khalifes venaient écouter les philosophes et
respirer l’odeur des citronniers après la moisson militaire, il
paraissait fait de blocs d’or broyés dans des caillots de sang. Aux
Indes, il laissait envahir les mosquées par la marée matérielle du
monde. Sur les plateaux de l’Iran, il était comme un champ de
fleurs.
La Perse ne ressemblait pas plus aux plaines
de sable de la Méditerranée orientale, qu’aux vallées andalouse ou
marocaine que l’ombre dure et la flamme se disputent éternellement.
Dans les hautes régions de l’Ouest qui bordent le désert central,
au-dessus des poussières, à trois mille mètres plus près des
étoiles que la surface de la mer, l’air a la transparence et la
limpidité des glaces. Le vent y moire des prairies blanches, des
prairies roses, des nappes de pavots, des champs de céréales qui
parcourent, du printemps à l’automne, toutes les nuances
incertaines allant du vert tendre au jaune d’or. Les ciels où
volent des pigeons, les nuages, ont de ces tons naissants qu’on
voit aux fleurs des arbres. Les villes y sont noyées de
roses [24] .
Quand on approche d’elles, leurs dômes
ovoïdes, leurs dômes renflés, leurs assemblées de dômes
tournoyants, leurs longs minarets droits qui fusent des
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