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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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passent par des transitions insensibles
du carré au polygone et du polygone au cône, partout l’inondation
débordante des formes animées et des visages innombrables de la vie
laisse cependant apparaître la logique de la fonction et le
rationalisme de l’esprit. Même, et là le miracle est plus
surprenant peut-être, quand trois siècles et quatre ou cinq styles
mêlent le roman et le gothique dans un même monument, le monde des
sentiments et des sensations enchevêtrés qu’il présente entre d’un
bloc, et pour jamais, dans l’ordre immuable de l’esprit.

V
    La France, au fond, en recouvrant de chair
vivante une charpente si logique qu’elle fixait jusque dans ses
détails la forme du monument, poursuivait sa propre conquête.
L’esprit français est le plus structural qui soit, mais sa
structure est aussi simple que la surface en est mobile et nuancée,
près de son sol, de ses rivières, des vents qui traversent ses
ciels. Les hommes de cette terre avaient toujours aimé donner à la
matière la figure de leurs visions. Les premiers objets gravés et
sculptés que le monde connaisse étaient apparus sur le territoire
qui va de l’Atlantique aux Pyrénées et aux Cévennes. Les Gaulois
frappaient, forgeaient, fondaient le bronze avant l’arrivée des
Légions. Le génie gréco-latin tressaillait chaque fois qu’il
touchait ce sol.
    Pourtant, avant que la sculpture ne quittât
tout à fait le cloître, les saints et les saintes étaient des dieux
lointains que le peuple apercevait à peine au sommet de la
hiérarchie ecclésiastique. Quand ils eurent gagné la rue, ils y
vécurent. Le dieu local, le dieu des travaux et des jours, le dieu
des fontaines, des bois, le génie qui participait à tous les actes
de la vie agricole, ouvrière, sociale du peuple, les rejoignit sans
qu’on s’en aperçût. La sculpture fut envahie soudain, et tout
entière, par un sentiment moral et familier aussi simplement
pénétrant qu’une action d’humanité vivante et continuant, sans lien
visible, notre plus lointain esprit. Ses gestes avouaient, ils
protégeaient, ils aidaient, ils attiraient contre les cœurs. Des
mains se cherchaient, et se trouvaient, des visages s’inclinaient
vers d’autres visages, respirant la douceur qu’ont les uns pour les
autres tous ceux qui ont besoin les uns des autres. La vierge,
divinisée contre le désir du clergé, portait son enfant dans la
foule et le montrait aux pauvres gens.
    Certes, ils étaient bons chrétiens, ceux qui
sculptaient ces torses ronds, ces hanches gonflées par la
grossesse, soulevées par le poids du petit, ces longs membres
nerveux ou pleins sous la robe de laine, ces bonnes figures
souriantes qu’ils copiaient dans le chantier sur celle qui leur
apportait la soupe. S’ils n’aimaient réellement du christianisme
que ses tendres mythes humains, ils acceptaient sans les discuter
ses affirmations surnaturelles, ce qui les dispensait d’être trop
sévères pour les actions qu’ils commettaient. Comme ils
travaillaient bien, ils considéraient que leur coupable gourmandise
avait l’avantage de réparer leurs forces et que leur coupable
luxure compensait bien des ennuis. Les clercs ne s’offensaient pas
plus que les laïcs des contes ingénus et gaillards que
l’imagination populaire ne cessait pas d’enfanter. Il faut se
souvenir qu’en ces siècles vivants, les mœurs n’étaient pas très
édifiantes [27] . Les prêtres eux-mêmes avaient à peu
près tous des concubines, et pas un ne s’en cachait. La vie, pour
accepter des digues, était trop riche en forces rajeunies. L’homme
de ce temps apportait aux offices son plus grand, son plus simple
amour, mais c’est l’esprit qu’il adorait, la puissance même de sa
foi libérait son action en l’affranchissant de la lettre. On se
poussait souvent du coude, on s’allongeait des tapes aux prêches,
on daubait sur le curé. Ce n’étaient plus toujours des moines qui
représentaient les vertus sur les linteaux et les tympans. Beaucoup
plus souvent elles accueillaient les pauvres par le sourire
enchanté d’une figure féminine. On trouvait très naturel de voir
des démons pousser dans leurs chaudières un troupeau gesticulant de
soldats, d’évêques, de rois que bousculait la peur. Le peuple de
France était trop sûr de lui pour ne pas pratiquer le pardon des
injures, mais il disait ce qu’il pensait avec une candeur parfaite,
et bien que son enfer fût plus comique qu’effrayant,

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