L'Art Médiéval
longs troncs fuselés, les longues nervures retombant
pour sertir les verrières, les lignes absolues qui convergent et se
répondent, le rayonnement pur des roses, tout a la force abstraite
et la nudité de l’esprit. Et partout, c’est la fonction qui
détermine la forme. Le château fort est une église retournée, nu
au-dehors pour la résistance, couvert de fresques, de tapis, meublé
de bois sculpté, de fer forgé au-dedans pour la joie de l’œil et le
repos, et la seule cathédrale ogivale française dont l’intérieur
soit plein de peintures et d’images, dont l’extérieur soit
dépouillé et qui forme une masse hostile, est construite à Albi
dans un esprit de défiance et de combat, forteresse montant d’un
bloc pour entourer d’une armure l’asile de l’esprit. Dans le midi,
le mur garde la majesté romaine, et par instants même l’accroît. Là
surtout où l’esprit roman et l’esprit ogival fusionnent, aux
Saintes-Maries-de-la-Mer, à Aigues-Mortes, à Albi, à Agde, au
château des Papes d’Avignon, un art sublime apparaîtra. Si altier,
si nu, si sobre et mesuré dans l’alternance rythmique du mur massif
qui monte droit et du retrait inscrit dans son épaisseur même pour
y ouvrir, sous la fière ogive du faîte, les fenêtres superposées,
qu’auprès de lui – église ou forteresse –, le temple roman semble
écrasé ou lourd ou grêle et la cathédrale française trop ouvragée
au dehors.
On a, dans l’architecture ogivale comme dans
l’architecture romane, isolé plusieurs écoles. Et en effet, il est
aussi facile de distinguer au premier abord, dans le monument
ogival, la sobriété et la mesure de l’Île-de-France et du Valois,
la gaieté, l’animation, la truculence, la verve de la Picardie et
de la Champagne, la force carrée et rugueuse de la Bretagne, la
profusion et la complexité de la Normandie que, dans la
construction romane, la patience ouvrière des Poitevins, la
puissance ramassée des Auvergnats, l’élégance tendue des
Provençaux, la vigueur et la finesse des Périgourdins. Aussi facile
de reconnaître le confluent des deux grands styles dans l’éloquence
fastueuse des Bourguignons. Mais chez les uns comme chez les autres
et malgré la tendance générale qui, dans le Sud, fait dominer
l’élément spirituel, abstrait, structural, didactique, et dans le
Nord l’élément nuancé, vivant, anecdotique, pittoresque, en un mot
la sculpture ici et l’architecture là, une interpénétration
constante des styles locaux, des époques, des influences du dehors,
transforme la terre entière de France en une forêt de pierre
ordonnée et ouvragée telle que l’Inde seule, peut-être, en vit
sourdre une comparable de son sol miraculeux. Et d’ailleurs l’art
indien, comme l’art khmer ou javanais, l’art byzantin comme
l’arabe, l’art grec comme l’art romain, par filiation directe ou
indirecte, par raisonnement ou intuition, par rencontre de
sentiment ou de hasard, semblent accourir ici de tous les points de
la terre pour se résumer et s’ordonner un siècle dans la
sensibilité toujours en éveil et l’intelligence aisée qui
caractérisent la France. Une variété merveilleuse de sensation et
d’expression entre sans effort, d’un bout du territoire à l’autre,
dans l’unité spirituelle de volonté et de foi. Que le temple, chez
les romans, soit ou non travaillé comme un ivoire, la tour carrée,
polygonale ou ronde, presque pleine ou toute aérée de fenêtres
juxtaposées, le clocher droit comme un cri ou incurvé comme une
plainte, l’abside polyédrique ou circulaire, les pleins cintres
multipliés sur la surface remuante ou à peine indiqués au faîte des
murs droits, farouches comme des remparts, partout la majesté et la
force de la doctrine pénètrent les surfaces expressives de la vie
et ses rythmes savoureux. Que, sur les façades ogivales, les grands
plans silencieux s’ouvrent à peu près nus entre les contreforts
dépouillés, qu’au contraire ces contreforts soient cannelés en
tuyaux d’orgues comme pour accentuer l’élan vertical vers le ciel,
et ces façades recouvertes d’une arborescence de dentelles, que les
porches s’inscrivent dans les murs ou se hérissent de frontons, de
clochetons, de pinacles, que les roses rayonnent ou flambent, que
les tours dont le nombre et la disposition varient sans cesse
soient évidées par de hautes fenêtres ou fasciculées en colonnettes
comme des gerbes d’épis ou
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