L'Art Médiéval
il en ouvrait
les portes avec malice à ceux qui ne respectaient pas la tâche
qu’ils prétendaient avoir la sainte mission d’accomplir. Dieu le
père n’apparut à peu près jamais dans la statuaire des églises. Les
pauvres imagiers ne regardaient pas si haut. Ils ne savaient pas
bien faire ce qu’ils n’avaient pas vu. Ils ne manquaient pas
d’imagination, certes, et même d’une vague, universelle et confuse
culture. Mais leur imagination se mouvait entre les cadres,
d’ailleurs immenses et multiples, de la vie qui les entourait, et
leur instinct d’artistes était trop impérieux pour permettre à leur
culture théologique et légendaire de leur fournir autre chose que
des prétextes à le manifester. Madame la Vierge sortait vivante de
la pierre parce que l’image de la maternité, en ces temps de vie
frénétique, était partout. Et si les saints et les anges
entouraient les portails, c’est que ceux qui souffraient voyaient
tous les jours se pencher sur leur détresse des figures de bonté et
des figures d’espérance.
L’Église, au cours de sa période
d’organisation défensive, avait détourné au profit de sa puissance
extérieure, l’élan sentimental dont le christianisme était sorti.
La France du XIII e siècle replaça en pleine humanité
vivante cet élan sentimental. Sous la poussée de sa force
intérieure, le vieux cadre théologique craqua de partout, le
christianisme qui jusqu’alors avait dominé la vie, fut dominé par
elle, entraîné dans son mouvement. Par-dessus le sémitisme de saint
Paul, qui avait préparé son explosion en lui imposant le repos,
contre la discipline de Rome qui élevait depuis mille ans des
digues pour la protéger contre les forces anarchiques du dehors,
elle rejoignit l’esprit fraternel de celui qui était né dans une
étable, qui traînait des bandes de pauvres, qui accueillait les
femmes adultères et qui parlait aux fleurs, parce qu’elle sortait
d’un état social encore plus dur que le vieux monde et qu’une
insurrection de tendresse virile devenait l’universel besoin.
Les civilisations antiques à leur déclin
pleuraient sur elles. Leur douleur avait paru déclamatoire et
grimaçante parce que la vie les quittait. Le Moyen Âge, en qui
montait la vie, fut le maître de sa souffrance. Il fut heureux,
aussi heureux que le vieux monde en plein essor, et la pitié ne fut
jamais pour lui qu’un élément de l’énergie de vivre reconquise.
C’est en ignorant sa vaillance qu’il tendit les deux mains à tous
ceux qui les demandaient. Il retrouva sans effort dans l’exercice
quotidien de la tâche accomplie le principe social du christianisme
que les Pères de l’Église avaient cherché dans une organisation
théocratique momentanément nécessaire pour protéger la croissance
des peuples neufs, mais nuisible à la manifestation de leur pensée
originale.
Ce caractère social définit la sculpture
française. Vue par dehors, sans doute, et dans son ensemble, elle
rappelle tout à fait, du XII e au XV e siècle,
la marche des écoles antiques, de l’archaïsme à l’académisme en
passant par un point d’équilibre où la science et le sentiment
élevés à leur plus haute certitude rayonnent d’un même foyer. L’art
roman a la force souriante et la raideur rythmique du
VI e siècle grec, l’art du XIII e siècle
français est calme et mûr comme celui qu’affirmèrent, dans la
pleine possession d’eux-mêmes, Phidias et ses précurseurs. Après,
en France comme en Grèce, la virtuosité descriptive, naturaliste et
pittoresque prend peu à peu le dessus. La différence essentielle,
sans doute, c’est que la sculpture gothique ne tend pas à réaliser
avant tout ce balancement des volumes par qui les statuaires
d’Olympie et du Parthénon passaient d’une forme à une autre forme,
d’une idée à une autre idée sans que l’esprit s’aperçût de la route
suivie et pour qu’il entrât avec eux dans la conscience et le
besoin d’une harmonie universelle. Quand elle le saisit, cela
semble déjà une tentative isolée, l’apparition impressionnante d’un
individu solitaire dans une foule en rumeurs… Presque toujours
l’artiste grec répartissait en flots rythmés la vie intérieure de
la pierre sur toute l’étendue des plans, pour faire participer
toutes ses figures à l’équilibre cosmique. Presque toujours le
Français la concentre dans un front penché, dans un menton levé,
une épaule, un sein, un coude,
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