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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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plus sensible
et traduit dans le langage le plus sensuel les dogmes affirmant la
royauté de l’esprit pur. Elle réhabilite la nature de l’homme, la
nature du monde où il vit. Elle aime l’homme pour lui-même, faible
et plein d’un courage immense et décrit son paradis avec les
arbres, les eaux et les nuages qu’il voit en levant les yeux ou en
sortant des portes de sa ville, avec les légumes pleins de terre et
les fruits que lui portent des champs, les jours de marché, les
bêtes domestiques qui partagent son destin.
    La cathédrale – l’art ogival entier – réalise
un moment l’équilibre des forces populaires vierges avec le
monument métaphysique dont la philosophie chrétienne lui préparait
le cadre depuis mille ou douze cents ans. Mais ces forces brisent
ce cadre en se déployant tout à fait. Les maçons et les imagiers
consacrent, contre l’Église, l’entrée de la forme du monde sans
cesse mourante et renaissante dans notre esprit et notre chair. Le
désir populaire entraîne dans son mouvement toute la matière
immobile des prohibitions et des formules où l’appareil
théocratique prétend l’enfermer. Le clergé, sans doute, imposait
aux décorateurs l’obligation d’ailleurs très allègrement consentie
de respecter dans les images une hiérarchie rigoureuse, une
inflexible écriture symbolique dont il surveillait la
disposition : « L’art seul appartient au peintre,
l’ordonnance aux Pères », a dit le concile de Nicée [30] . Le concile de Nicée ne savait pas que
l’art est tout et que l’ordonnance est sans lui comme un vêtement
vide, puisqu’au moment où l’art jaillit des cœurs il est la
passion, la volonté, la souffrance, la religion, la justice, la
vie. Qu’importait donc que l’édifice fût la croix, que l’abside fût
la couronne d’épines, que le chœur fût la tête du Christ et le feu
du vitrail la lumière céleste et que les tours fussent des bras qui
suppliaient ? La foule, au Moyen Âge, s’exprimait
symboliquement parce que le symbole résumait les réalités morales
supérieures qu’elle ne discutait pas pour rester plus libre de
découvrir ses réalités spirituelles, et parce qu’elle trouvait en
lui un inépuisable prétexte à dire ce qui l’étouffait. Au Moyen
Âge, la symbolique et la théologie vivaient avec la vie, de la même
vie que la vie, elles n’étaient qu’un élément dans la symphonie
formidable où toutes les forces du temps se rejoignaient pour se
répondre et s’associer. Le corps social, insoucieux de reconnaître
les éléments qui le constituaient, laissait leur vie ardente
organiser spontanément son équilibre et son action.
    Il semble que de loin, de haut, nous ne
puissions envisager l’histoire d’une grande race que par les
caractères généraux qui la dénoncent. Elle nous paraît alors tenir
tout entière dans une œuvre particulière, prendre pour ainsi dire
une forme visible, tangible, où toutes ses aventures d’intelligence
et de douleur apparaissent comme sublimées. Elle semble n’avoir
vécu, saigné, fait la guerre et le commerce, cultivé le sol,
travaillé le fer, que pour que cette œuvre naisse, qui contienne,
résume, exalte les vies obscures et les sentiments informulés de
ses milliards de vivants et de morts. Et dès lors, chaque fois que
nous évoquons l’esprit d’un peuple, le nom de l’homme qui le
représente le plus évidemment à son heure la plus décisive nous
vient aux lèvres. Beethoven nous apporte l’Allemagne, Shakespeare
l’Angleterre, Michel-Ange l’Italie, Cervantes l’Espagne, Rubens la
Flandre, Rembrandt les Pays-Bas. Quand nous pensons à la France,
nous hésitons. Montaigne est le héros de l’intelligence éternelle,
supérieure au destin des peuples, à leur langage, à leur passion.
Pascal n’a pas la joie divine qui monte avec le sang du peuple dans
ses gestes, même quand ce sont des gestes d’injustice ou de
désespoir. Il manque à ceux qui nous racontèrent le mieux,
Rabelais, La Fontaine, Molière, cette sorte de passion mystique qui
héroïse l’âme humaine et fait qu’en un seul homme et en un seul
moment elle peut concentrer en elle et résumer toutes les
puissances de vie qui, à ce moment-là, définissent à nos yeux
l’orientation de la destinée et du monde. Hugo boursoufle sa
puissance de programmes et de sermons. Eh bien ! la cathédrale
a tout ce que nous aimons dans Hugo ou Pascal, tout ce que nous
retrouvons de nous en

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