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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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est tellement saturé de
soleil qu’il devient peu à peu un foyer de lumière, une source de
chaleur aussi vivifiante que celle qui concentre l’automne et l’été
dans les fruits. Tout attache à son sol l’édifice construit avec la
pierre qu’on en tire, le régime des eaux et des vents et la couleur
du ciel et des cultures, le rythme habituel des saisons. Sous le
pavé des nefs, c’est la forêt souterraine, les colonnes épaisses
plongent dans les ténèbres de la crypte pour enraciner à la terre
l’élan vertical des futaies, l’épanouissement des rameaux et des
feuilles. Dans la cathédrale française, dans ses longues colonnes
pâles tremblent les bois d’aubiers et de bouleaux, les bois clairs,
aérés de Picardie et de Champagne, et leurs branches illuminées aux
flammes de ses vitraux. Quand les crépuscules inondent la nef, font
grandir les piliers dans la pénombre, reculent encore dans le
mystère les voûtes solennelles où l’or des jours finissants
s’assombrit, on pense à nos forêts de chênes. Et la vapeur légère
de nos ciels qui appartient à la masse de l’air, qui mêle au
silence des fonds le mouvement confus des formes ornementales,
pénètre les tours ajourées et voile d’une fumée blonde l’incendie
des verrières, élève avec la cathédrale au-dessus des coteaux et
des plaines l’eau trouble des fleuves sinueux, le tremblement grêle
des arbres dont la dépouille, par les temps humides, sature la boue
des chemins. Des branches remuent, des bruits s’élèvent, des
chuchotements reprennent quand le vent s’est apaisé. Coutances
monte de partout, les flèches, la tour centrale, les clochetons
polygonaux s’élancent, ils pénètrent l’espace d’un essor si pur et
si nu que leurs pointes s’y perdent, comme des voix. Laon, de la
base au haut des tours, est verte de mousse et de plantes sauvages,
les contreforts de Beauvais qui jaillissent trois fois plus haut
que les bois du pays font un bruit de forêt quand l’orage se lève,
et le vieux clocher de Chartres est une flamme d’or suspendue dans
le brouillard.

VII
    Rien, dans cette expression sociale et
naturelle, n’est hors de la terre et du peuple dont elle sortit
spontanément. L’unité de la symphonie est d’autant plus
impressionnante qu’un plus grand nombre de voix y sont entrées pour
le chant, la prière, le murmure, les pleurs, le rire, et pour jeter
la mélodie changeante des dentelles de pierre, de verre et de
rayons sur le tonnerre intermittent des cloches, sur la rumeur des
nefs sonores où le plain-chant monte et descend. La cathédrale est,
avant même l’université voisine qu’elle abrite souvent [28] et à qui elle n’abandonna jamais toute
la vie intellectuelle puisque les écoliers rencontraient les
artisans sous ses voûtes pour communier avec eux dans l’élaboration
collective et confuse des farces, des mystères et des moralités, un
résumé puissant de l’idée du siècle et des images de la vie. Elle a
formulé pour nous ces troubles écoles où quatre ou cinq nations
viennent s’instruire, où tous les éléments qui se débordent
collaborent confusément, le maître avec les disciples, les
philosophes grecs avec les Pères de l’Église et ce qu’on enseigne
avec ce qu’on apprend. L’innombrable Aristote dont se réclamait la
pensée révolutionnaire contre les théologiens eût reconnu, dans
l’unité désordonnée et la riche matière de ce temps, l’irruption du
génie sensuel qui de mille en mille ans monte de la profondeur des
peuples pour arracher le monde aux dangers de l’abstraction
pure.
    On avait tant, et depuis si longtemps maudit
la chair, dédaigné les formes, on avait tant et si longtemps
comprimé le désir de les aimer pour ce qu’elles nous apprennent,
que le jour où ce désir ne put plus être contenu, il changea l’axe
de la vie, et, après l’avoir révélée à elle-même, l’étouffa. Il y
eut un tel débordement de formes, un tel enivrement de sensations,
que non seulement l’idée chrétienne de purification en fut
anéantie, mais que l’art, venu pour protester contre elle, se
dévora. Il mourut pour avoir satisfait avec trop de violence les
besoins qui l’avaient fait naître. En moins de trois cents ans,
l’esprit français suivit la route qui conduit de Sens ou de Noyon,
de Notre-Dame, de Chartres, de Beauvais, la logique nue, l’unité,
l’harmonie, l’élan, partout la sobriété et la force, à Reims, la
magnifique

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