L'Art Médiéval
Rabelais, Molière ou La Fontaine, tout ce
qui, dans Montaigne, domine les temps et les lieux. Mais elle
soulève cela par ses voûtes et par ses tours dans un tel
emportement lyrique, qu’elle fait monter la foule française
jusqu’aux pressentiments suprêmes que les plus grands de nos
artistes n’ont presque jamais atteints. Le héros français, c’est la
cathédrale.
L’expansion de l’idée française
I
Le « miracle français » fut si bien
un miracle, qu’il stupéfia le peuple des villes et que les pauvres
gens accoururent des campagnes pour voir monter tous les ans plus
haut au-dessus des tuiles en pente et des pignons aigus, la
broderie bleue et dorée des pierres peintes, les verrières de sang
miroitant dans la lumière, l’élan massif ou fuselé des tours et des
flèches qui vibraient aux battements du bronze. Leur œuvre faite,
les maçons et les imagiers la regardaient avec autant d’étonnement
que s’ils fussent venus de l’autre bout du monde pour la voir.
Chacun avait travaillé dans son chantier, assujetti son vitrail,
taillé sa statue, élevé son mur moellon sur moellon, chacun n’avait
vu qu’une feuille, une herbe de la forêt, beaucoup même étaient
morts sans lever les yeux du bourgeon qui poussait sous leurs
doigts, du fruit dont ils surveillaient la maturation et qu’ils
n’avaient pas toujours eu le temps de cueillir. Et voici que les
échafaudages enlevés, les tréteaux jetés à bas, de hautes voûtes
solennelles, des cataractes de rayons, une montagne légère de
colonnes et de statues emplissaient le ciel familier. D’où venait
donc cette formidable unité où la présence de la foi, de
l’espérance, du dieu vivant qui habitait le cœur des foules,
s’affirmait sans que personne, pas même le maître d’œuvre qui avait
fait le plan de l’édifice, eût songé d’avance à les exprimer ?
Aucun d’eux ne savait qu’elle préexistait en lui, aucun d’eux ne
savait que sa propre humilité et sa propre faiblesse, parce
qu’elles allaient dans le même sens, du même pas, au même rythme
que la faiblesse et l’humilité du voisin, se soudaient tous les
jours à elles pour constituer avec elles une énorme puissance
anonyme qui éclaterait sur l’histoire comme la plus haute
manifestation d’idéalisme collectif. Quand ils se retournèrent pour
regarder leur ouvrage, aucun d’eux ne se rappela qu’il y avait mis
la main, mais ils surent tous que c’était ça le paradis. On venait
donc de la campagne, et de plus loin. On venait voir, on venait
prendre des leçons, on venait demander aux maîtres d’œuvre de
passer la mer ou la montagne aux frais des villes riches qui
voulaient toutes avoir la plus belle église ou le plus haut
rempart. Depuis deux siècles, d’ailleurs, la France était le grand
foyer occidental. Elle avait conquis, par les Normands, la Sicile
et l’Angleterre, elle envoyait incessamment en Orient, sous le
prétexte ingénu et puissamment stimulateur de délivrer le
Saint-Sépulcre, des expéditions coloniales qui couvraient la Syrie,
la Grèce, les Îles, de cités françaises, et tentaient d’occuper
l’Égypte et l’Afrique du Nord. Des barons français ceignaient les
couronnes d’Athènes, de Constantinople, de Chypre, de Jérusalem.
L’âme française déployait la force d’expansion qui lui permettait,
chaque année, et en cent points de la France, de creuser des
canaux, de bâtir des ponts, des aqueducs, des fontaines, d’ouvrir
des hôpitaux et des écoles, de suspendre à cent pieds du sol le vol
majestueux des voûtes ogivales. Comme elle devait, cinq cents
années plus tard, enseigner au monde que la révélation monarchique
avait vécu, elle dénonçait ingénument et joyeusement la révélation
théologique en semant partout l’action, la vie, l’expérience, la
liberté.
Là où n’entraient pas les hommes de guerre, la
pensée pénétrait quand même par les marchands et les artistes. Sur
tous les fleuves d’Europe, des bateaux entraînaient la matière et
l’esprit de l’Ouest. Les romans français couraient le monde. Les
maîtres des Universités étrangères avaient presque tous passé par
celle de Paris où les nations entretenaient des collèges en
permanence. Philippe Chinard, maître d’œuvre français, suivait
partout Frédéric II. Charles d’Anjou en avait appelé un autre,
Pierre d’Angicourt, en Sicile. Eudes de Montereau accompagnait en
Palestine, où il fortifia Jaffa, saint Louis
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