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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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orgie sensuelle, à Rouen, l’agonie frêle et flamboyante.
La sculpture, d’abord plaquée contre les murs, plus tard incorporée
aux murs, se détacha des murs, et la dissociation commencée, elle
s’accentua rapidement jusqu’à l’anarchie finale. Elle n’exprime
guère plus dès le XIV e siècle que le portrait
individuel, pénétrant, bonhomme, cordial et sûr de lui. Puis,
l’imagier sait trop, il manie son ciseau avec une telle aisance
qu’il le regarde jouer dans la matière et que la force qui
gouvernait son cœur est passée toute dans sa main. Les lignes de la
cathédrale se compliquent et s’enchevêtrent, perdent leur sens, ses
voûtes s’encombrent de nervures supplémentaires que l’ornement
inutile va bientôt fragmenter. Elle disparaît sous la profusion du
détail, elle affaiblit ses supports en les fouillant de ciselures,
elle diminue tous les jours ses pleins au risque de s’écrouler pour
laisser une place de plus en plus grande aux verrières
envahissantes. Quand elle était apparue, le monde se mourait
d’obscurité, de solitude et de silence. Elle lui révéla la lumière,
la forme et le tumulte pour en mourir.
    De là le caractère explosif et passager de
l’art français du Moyen Âge. La cathédrale eut des béquilles, comme
le lui reproche Michelet. Ses arcs-boutants qui sont si purs parce
qu’ils portent avec fidélité le poids d’un monde, un siècle lourd
comme mille ans ramassés dans un effort, lui donnent cet aspect
d’improvisation qui la rend si vivante et la fait croire si
fragile. À voir cette hâte, on dirait que le peuple de France, tout
d’un coup sorti du sommeil pour entrer dans l’ivresse de vivre,
ébloui de jour, envahi d’images innombrables, débordant de verve et
de joie, pressentait qu’il aurait à peine le temps, entre
l’oppression théocratique agonisante et l’oppression militaire
prochaine, d’exprimer en tempête et confusément ce qu’il avait
compris de la nature dans sa première rencontre avec elle depuis la
mort des anciens dieux.
    La cathédrale vaincue en même temps que la
Commune et pour les mêmes raisons, il ne resta rien – qu’elle-même
– de l’élan dont elle était sortie. L’énergie nationale, énervée
d’abord de sa propre croissance, puis écrasée sous l’invasion
recommençante et la plus atroce misère, peut-être, qu’ait connue
l’histoire, l’énergie nationale s’affaissa. Il n’y eut plus en
France que la monarchie grandissante et le catholicisme qui
regagnait le terrain perdu en agissant sur les esprits découragés.
Le haut clergé, représentant du christianisme politique, s’empara
de la cathédrale pour combattre le christianisme doctrinaire du
clergé régulier avec le christianisme humain du peuple. Grâce à
lui, le catholicisme bénéficia des coups que lui avait portés le
Moyen Âge. Il y gagna le renom de grandeur esthétique qui le rendit
si séduisant. Il fut pour l’avenir cette chose terrible et douce,
puissamment artiste, puissamment morale, diverse selon qu’elle se
manifesta en France, en Italie, en Flandre, en Espagne, en
Allemagne, en Angleterre, une pourtant par le dogme et l’autorité,
à la fois théologique et populaire, traditionnelle et spontanée,
universelle et nationale. On crut, – il crut sincèrement lui-même,
– qu’il avait fait à son image l’Occident du XIII e siècle. En réalité c’est la France et l’Europe qui, soulevées de
vie, firent cent cinquante ans le catholicisme semblable à ce
qu’elles étaient.
    « Si nombreuse, disait saint Bernard,
anathématisant déjà la raide sculpture romane qui décorait les
premiers temples en même temps qu’il combattait l’esprit communal
et condamnait dans Abailard l’esprit des Universités, si nombreuse,
si étonnante apparaît partout la variété des formes, que le moine
est tenté d’étudier bien plus les marbres que les livres et de
méditer ces figures bien plus que la loi de Dieu »… La
cathédrale n’est chrétienne que pour ceux qui ne sentent pas que ce
qui est humain contient le christianisme et le précède et lui
survit, comme elle n’est antichrétienne que pour ceux qui ne
sentent pas par quels côtés le christianisme reste humain [29] . Elle est humaine, et traditionnelle,
et révolutionnaire, et profondément opposée au principe autoritaire
et moralisateur du christianisme se disant définitivement organisé,
pour avoir exprimé des idées morales sous la forme la

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