L'Art Médiéval
Sopotchany en
Serbie, celles de Vladimir en Russie montrent que l’individualisme
grec survivait au sein du rythme collectif que l’Église orthodoxe
avait imposé aux barbares hellénisés pour les contenir et qu’il
commençait de se déployer avec sa rapidité coutumière, alors que le
même phénomène devait encore attendre un siècle pour apparaître en
Italie centrale et de là gagner tout l’Occident. Ces fresques,
sensiblement contemporaines des grandes cathédrales françaises,
montrent que les Grecs ont joué, dans le monde chrétien, le même
rôle que dans le monde antique et qu’ils ont pris comme alors
l’Italie, puis la France pour intermédiaires, mais qu’ils se sont
effacés devant elles beaucoup plus vite que jadis, alors que
l’épanouissement suprême ne faisait que s’annoncer. Les peintures
sublimes de Sopotchany, notamment, peuvent être regardées comme
d’une qualité plastique égale aux œuvres helléniques qui précèdent
immédiatement Phidias. Mais elles leur sont supérieures par leur
qualité spirituelle que dix siècles de christianisme
approfondissent. Elles sont égales, peut-être supérieures, aux plus
hautes inspirations de Duccio et de Giotto, qui en sortent
indirectement et qu’elles rappellent d’une façon surprenante, avec
cependant plus de poids, de largeur et de majesté. Comme jadis,
l’art italien sortira de la rencontre de cette annonciation
grandiose avec les tentatives locales déjà suscitées par Byzance et
ce génie de la fresque qui, depuis plus de cinq siècles
–
si l’on s’en réfère sans plus chercher aux décorations de
Santa-Maria Antiqua de Rome
–
montre à l’Italie sa vraie
route. Il y a là, comme à Santa-Saba, une liberté de métier que la
mosaïque ne peut connaître et une orientation vers cette
civilisation
«
romane » si féconde dont le
mariage avec les acquisitions byzantines fera éclore l’art
proprement italien. La part des suprêmes efforts de Byzance
largement faite, c’est dans le cœur même des Italiens qu’il faut en
effet chercher la source de cette lumière ardente, mais encore aux
trois quarts étouffée, qui apparaissait dans l’ombre la plus opaque
des édifices religieux du centre de l’Italie. Elle est dans le
besoin de l’Occident de trouver sa réalité spirituelle propre, et
tout d’abord à l’intérieur des frontières morales fixées par le
christianisme tel que les évêques et les moines l’avaient édifié.
Refoulé si longtemps dans la profondeur des foules
–
foules curieuses, sensuelles, imaginatives, lyriques
–
où le Celte prime-sautier, pénétré de mysticisme germanique et
d’ardeur africaine dominait, l’amour aspirait avec force à
s’épancher. François d’Assise, à qui remontent tous les mouvements
secrets qui aboutirent à provoquer la Renaissance d’Italie
n’est
–
au moins dans la péninsule
–
que le
souffle de l’esprit jailli de ces foules fiévreuses, si misérables
et si nobles, à la recherche de la nourriture vivante
–
et
non plus uniquement abstraite
–
qu’on leur refusait
jusqu’alors. À mi-chemin du XII e siècle, dogmatique et
mystique, et du XIII e , poétique et humain, il exprime à
lui seul cette mythologie que réclamaient tant d’âmes affamées se
tournant vers un ciel jusque-là vide de formes et exigeant, pour
animer ses solitudes, la collaboration de la nature avec tout ce
qui nous la livre, plaines, montagnes, bois, rivières, animaux, et
du drame même de vivre, et du pécheur. Ses invocations à tout ce
qui vit et tressaille, à tout ce qui a faim et soif, à tout ce qui
nourrit et désaltère, ne sont qu’un appel à la forme pour
l’exaltation de l’esprit. Nul panthéisme là-dedans, Chesterton a
raison de le remarquer. Figurations poétiques, mais précises et
plastiques, des besoins lyriques du cœur. Sa parole sur son propre
corps, auquel il demande pardon des offenses qu’il lui a faites,
est le symbole de la mission qu’il est venu accomplir. Comme le
vieil art grec est né de la rencontre du verbe mythologique et des
austères jeux nationaux avec l’esprit d’un groupe d’hommes
impatient d’émerger de l’ombre, l’art italien est sorti du verbe
franciscain planant soudain comme la houle d’une harpe pour
apporter son complément à l’énergie des cités. C’est leur
impatience commune à se fixer en une image capable de traduire la
passion qui les animait. Le christianisme, en trouvant ainsi
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