L'Art Médiéval
des grilles d’or, un chœur rempli d’ornements d’or, une
montagne d’or qui luit dans les ténèbres. Sans les lampes, on n’eût
pas vu les idoles habillées, les cadavres crucifiés dont les genoux
saignent, ni la croûte d’or qui couvre les nervures enchevêtrées
des voûtes, ni la nuit qui dévore tout. L’orgie dorée des retables
flamands encombre toute la nef, d’énormes escaliers d’or descendent
dans les églises qu’écrasent de lourdes dentelles, une forêt de
clochetons trapus, d’épais réseaux de broderies serrées où la
flamme gothique se tord comme une arabesque et sous qui l’arc arabe
brise, arrondit, fait onduler l’arc ogival, un océan de sculptures
énervées où le plus mystique des peuples apporte au plus mystique
des siècles le témoignage terrible de son consentement. C’est comme
un bûcher qui crépite, un viscère calciné, l’affreuse immolation de
l’être aux puissances sauvages qu’il ne sait ni dompter, ni
comprendre et obéir.
C’est ici que ce temps tragique où
l’arrachement se faisait entre l’instinct grandiose des foules qui
acceptaient tous les symboles pour permettre à leur force de
création d’aller au but sans défaillance, et la raison naissante
des individus qui discutaient tous les symboles pour tenter de
pénétrer le mystère de la nature, c’est ici que ce temps tragique
eut son expression la plus confuse et la plus désordonnée.
L’Espagne dut sentir qu’elle naissait trop tard à la vie
collective, qu’elle n’avait plus le temps d’exposer l’idée
catholique ébranlée pour la première fois et à laquelle, peut-être
par remords de ne l’avoir vécue qu’après les autres, elle resta la
plus farouchement et la dernière attachée. Elle entassa dans la
fièvre toutes les pierres que travaillaient depuis cinq cents ans,
les sculpteurs qui avaient vécu sur son flanc décharné, Wisigoths,
Français, Flamands, Allemands, Maures, Juifs, Ibères, et affirma
avec fureur son fanatisme irréductible à l’heure où les ouvriers du
Nord, dans les pays déchirés par la guerre, avouaient leur
désespoir.
Cependant rien n’était perdu. L’homme,
aiguillonné par le doute, recommençait à gravir l’inaccessible
sommet. Pendant que les derniers maçons posaient les dernières et
les plus hautes flèches sur les dernières et les plus hautes nefs,
d’un port de cette même Espagne sortaient trois caravelles pour
s’enfoncer dans l’Ouest. L’obscure solidarité qui avait permis aux
hommes du Moyen Âge, en cent cinquante années à peine, alors qu’il
n’y avait pas d’autres routes que les rivières, que les villes
s’entouraient de murs, qu’il fallait plusieurs mois de navigation
périlleuse pour aller des côtes de France aux côtes du Levant,
d’établir sur l’Europe entière une des civilisations les plus
touffues, mais les plus cohérentes et les plus vivaces de
l’histoire, s’élargissait tout à coup, comme si la vie d’un corps
trop puissant avait crevé son armure et si son sang et son regard
et sa pensée fusaient de tous côtés par les fentes du métal. Les
architectes portugais demandaient déjà aux grands marins qui
colonisaient l’Afrique et l’Inde, de leur dire comment les Indiens
décoraient leurs temples, et de leur rapporter de leurs voyages,
pour les assembler aux floraisons dernières de l’art mauresque et
de l’art ogival, des carènes, des ancres, des câbles, la flore et
la faune des mers, des algues, des pieuvres, des madrépores, des
coraux, des coquillages… La conquête de la mer et la conquête du
ciel allaient faire bondir l’esprit, dépouillé des croyances
anciennes, jusqu’au seuil des intuitions nouvelles où de nouvelles
croyances s’élaborent peu à peu.
Introduction à l’art italien
I
Quand j’écrivais, voici de longues années,
les chapitres qui précèdent, le principe profond de l’art chrétien
m’était complètement étranger. J’ai déjà confessé que je suis un
autodidacte. Je n’ignorais certes pas que la civilisation
chrétienne entière est symbole. Mais c’était justement chez moi une
notion livresque, incapable de me pénétrer. L’autodidacte est moins
celui qui n’a rien appris des autres que celui qui ne peut
apprendre que de lui-même. Qu’on ne croie pas que je cherche à m’en
excuser, encore moins à m’en enorgueillir. C’est peut-être bien là
une espèce d’infirmité morale que nul de ceux qui en souffrent
n’est
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