L'Art Médiéval
reflux constants, qui en marquent le caractère, et qui ont
pour but de chercher à chacune de ses étapes le
complément
des vertus intransigeantes qui ont assuré le succès de la
précédente, mais ne suffiraient pas, ou sans doute nuiraient au
succès de celle-là. L’une est d’ailleurs liée à l’autre, quel que
puisse être leur antagonisme apparent, par un insensible passage
dont un peu d’attention et de ferveur révèle la nécessité que je
laisse aux matérialistes le soin de baptiser de
«
mécanique »
,
aux spiritualistes de
«
divine »
et que je qualifierai d’humaine,
du moins provisoirement.
Ces précautions une fois prises afin
d’assurer ma marche, je remarquerai qu’au milieu du
XIII e siècle, sommet du mouvement qui répandit sur
l’Europe l’esprit chrétien, les chapelles obscures d’Ombrie et de
Toscane commencèrent de s’animer. De grandes figures étonnées,
quelque peu hagardes, encore momifiées dans leur gangue hiératique,
mais les yeux larges ouverts, surgirent du fond des ténèbres,
simplifiant leurs tons de manière à les intensifier du même coup,
schématisant leurs lignes et les rendant ainsi plus expressives,
comme pour mieux percer la couche de salpêtre accumulée sur ces
murailles que le soleil ne visite jamais. Cryptes ou petites nefs
écrasées qui n’étaient sans doute, depuis deux cents ans, dans la
conscience vacillante des peuples, qu’une tentative timide
d’arracher à l’ombre souterraine le souvenir des catacombes où le
christianisme était né. Comme pour envahir peu à peu autour d’elle
les multitudes barbares, mais innocentes, qui déchiraient l’Europe
depuis dix siècles et que le système féodal et monastique ne
maintenait que par la force entre des digues morales d’une rigidité
de pierre, la flamme qui couvait dans tous les cœurs tentait
d’éclairer ces murs où jusqu’ici l’œil des fidèles, arrêté par la
densité du dogme, n’avait pu rien apercevoir ni au-dedans, ni
au-delà de lui. La poésie du christianisme date vraiment de ce
temps-là, et c’est l’âme de l’Occident qui l’a créée. Jusqu’alors,
le clerc l’avait murée dans l’hermétisme de la théologie pour obéir
à la nécessité d’organiser socialement un monde que la chute de
Rome avait livré à l’anarchie. Les mosaïques miroitantes qui
couvrent encore les murailles des églises de Ravenne, de Venise, de
Palerme, n’exprimaient qu’une immigration de l’esprit oriental
amalgamé par Byzance aux survivances de la technique et de la
sophistique grecques. Elles n’avaient guère dépassé les lisières
maritimes de l’Italie et la ville de la papauté. De plus, elles
faisaient corps avec l’architecture. Manifestation impersonnelle,
minutieusement dogmatique, elles étaient l’œuvre d’ouvriers
anonymes travaillant sous la direction tatillonne et subtile de
l’équivoque moine byzantin, et plaçant l’un près de l’autre leurs
petits cailloux colorés dont l’ensemble ne révélait qu’après coup
sa splendeur polychrome. Une âme artiste, certes,
–
plus
artiste que religieuse,
–
vit au-dedans de ces figures
raides, mais leur richesse étroite ne pouvait effleurer l’Europe et
l’Italie même que par le dehors. Elles n’étaient point assez mûres
pour en saisir le feu secret, ni le mysticisme suspect, décomposé
par vingt siècles d’intelligence, qui devait trébucher au seuil des
marches occidentales mais se développer vers l’Orient, investir peu
à peu les pourtours de la mer Noire pour remonter vers le nord en
suivant les fleuves qui viennent y aboutir.
Cependant, les nombreuses découvertes
qu’on a faites, au cours des dernières années, sur toute l’étendue
du territoire de l’art byzantin, ont montré les extraordinaires
ressources que décèle sa tradition. Il se produisit vers le
XII e siècle, et dans l’intérieur d’elle-même, un
mouvement puissant vers la liberté et la vie, mouvement en somme
contemporain de celui qui est si sensible dans l’architecture et la
sculpture françaises, dans l’architecture et le décor italiens et
que des fresques annonçaient déjà au VIII e siècle, au
IX e , au X e , au XI e , dans quelques
églises de Rome. S’il n’a pas abouti dans l’Orient grec, sans doute
convient-il d’en accuser les croisades et surtout les assauts
répétés des Turcs contre Byzance, puis son encerclement graduel,
puis sa chute. Mais les fresques de Nerezi et de
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