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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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Giotto arrêtant sur les murs les deux dimensions
planes de l’espace, sans Masaccio y suggérant une troisième
dimension, sans Brunelleschi, Paolo Uccello, Piero della Francesca
déterminant les lois géométriques qui le mettent à la disposition
de l’homme, Luther et le criticisme allemand, François Bacon et
l’empirisme anglais, René Descartes et la méthode française,
n’eussent pu entraîner sur leur voie décisive les destins de
l’Occident.
    En fait, la peinture italienne a rendu
possible l’émergence de l’individu et de la science. Il est
aujourd’hui bien porté de décrier l’un et l’autre. Cependant,
quelle que soit la forme de notre avenir, nous ne pourrons nous en
passer. Nous ne pourrons pas détacher des assises du monde moderne,
même s’il évolue vers une nouvelle mystique, cette passion de la
vérité et de la gloire, cette curiosité universelle, ce besoin
d’enquêter sur tous les terrains et de manier toutes les armes qui
a donné son accent à la civilisation italienne et fait surgir de la
multitude des hommes maîtrisant d’un seul poing quatre chevaux de
sang, l’amour, l’ambition, la poésie, la science, dont L. B.
Alberti et Léonard de Vinci demeurent les types les plus accomplis.
Au Moyen Âge, l’individu s’abîme plus ou moins volontairement dans
le symbolisme spirituel dont l’unité divine est le centre et dont
la science et l’art, réunis la plupart du temps dans la même
expression, ne sont que des attributs non encore différenciés. Le
drame italien, au cœur duquel l’individu va paraître, est fait
précisément de la rupture, par l’intelligence critique, de cette
unité divine, rupture qui devait élargir graduellement la distance
entre les expressions de la sensibilité et les expressions de la
méthode. Mais l’âme italienne éprouvait une telle ivresse créatrice
qu’elle trouva en elle-même, trois siècles durant, la force de
couler sa sensibilité dans les voies de sa méthode et de n’émousser
point ses émotions directes en approfondissant, sur l’objet et
d’après l’objet minutieusement étudié, les moyens de les traduire.
Le drame ne prit fin que quand elle s’en aperçut. Et c’est de cette
brusque clairvoyance qu’est faite la grandeur de Michel-Ange et de
Vinci, les derniers Italiens à maintenir, l’un la science exacte de
la forme dans les méandres secrets de ses plus subtiles intuitions,
l’autre les postulats les plus profonds du monde spirituel entre
les lignes infrangibles d’une forme scrutée pour elle-même avec
l’acharnement du désespoir
[35] .
    C’est de loin que nous jugeons et mesurons
ces choses. Mais les Renaissants italiens les vécurent. Leur
énergie à enfermer dans la même unité vivante les données de leur
conscience et les acquisitions de leur savoir n’a pu dissimuler
l’angoisse continue qui marque l’art italien des XIV e et
XV e siècles et lui confère précisément son incomparable
saveur. Entre la résistance intéressée ou innocente

souvent les deux

du Moyen Âge dogmatique et l’effort
de l’intelligence pour échapper à son emprise, une tragédie ardente
se joue, qui donne à l’art italien, durant plus de deux cents ans,
ce côté hagard, frénétique, anxieux dont la plupart de ses maîtres
le marquent. Ainsi va-t-il de l’organisme chrétien où il est
encore, au XIII e siècle, entièrement contenu, à
l’organisme intellectuel du XVI e siècle, qu’il participe
plus que quiconque à constituer. Mais ce passage d’un rythme à un
autre est douloureux. La vie spirituelle entière de Florence, par
exemple, accouchant lentement aux fers l’enfant-homme qui jusque-là
dormait entre les flancs obscurs, mais brûlants, du christianisme
parvenu à son terme, constitue l’un des instants les plus saints de
notre histoire occidentale. On ne peut imaginer énergie plus tendue
et plus violemment contrariée que celle où ces hommes étonnants
trempèrent les ressorts de l’Europe moderne. Il leur fallut non
seulement combattre les enseignements et les prohibitions de
l’Église qu’ils acceptaient encore et la plupart du temps avec
sincérité de propager dans leurs œuvres, mais les habitudes du
public

habitudes intellectuelles, formelles,
visuelles

que tant de siècles avaient forgées. La
découverte de la perspective, par exemple, marque l’entrée de
l’espace réel dans l’unique plan de la peinture, et par conséquent
de l’esprit,

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