L'Art Médiéval
de murs, une
moindre force de voûtes. Et c’est lui qui, le premier, s’efforcera
de retenir l’individu qui s’en éloigne, en faisant porter l’effort
des constructeurs sur l’agrément et la légèreté de l’édifice, et
des décorateurs sur l’ornementation des surfaces qui vont fleurir
en colonnettes, en arcades étagées, parfois même, comme à Pise,
s’en entourer complètement. Il a traversé bien plus vite
qu’ailleurs l’âge de stabilisation dogmatique du catholicisme
–
XI e à XIII e siècle
–
montrant
une hâte évidente à s’en évader, et ne consentant qu’avec une sorte
de résistance contre lui-même
–
résistance qui se sent
dans sa propre austérité
–
à cette humilité, à cette
pauvreté que va prêcher François d’Assise et qui ne sera, pour les
architectes fabriciens des siècles suivants, qu’un motif de
décoration, et, pour les peintres, qu’un prétexte de développement
personnel. Sans doute, il a les mêmes origines que dans le reste de
l’Europe, et c’est même en partie grâce à lui que ces origines s’y
propagent. C’est la vieille basilique romaine, avec son abside où
siégeait le tribunal, et ses trois nefs, forum couvert, où le
peuple des marchands, des acheteurs et des bavards pouvait remuer à
l’aise. Comme ailleurs, peut-être avant
–
il
est
difficile de s’orienter dans le dédale des départs de
l’architecture romane, à la fois latine, syriaque, byzantine
–
c’est cette vieille basilique qui, en se coupant, au seuil de
l’abside, d’une nef perpendiculaire figurant les bras de la croix,
déterminera le type de toute église chrétienne. Mais son esprit ne
se cantonnera que peu de temps dans les dispositions rituelles. Il
saisira l’édifice civil pour s’exprimer librement.
Il est d’autre part remarquable que, dans
le temple lui-même, l’influence de l’architecture ogivale dont la
floraison, dès la fin du XII e siècle, atteignait tout
l’Occident, ne se soit qu’à peine fait sentir dans le principe de
la construction et n’ait influencé que le décor, apportant ainsi
une preuve nouvelle de la prédominance des goûts individuels sur
les besoins collectifs. La plupart des palais médiévaux de Sienne,
le palais
municipal de Pérouse, le vieux palais de
Florence, bien d’autres, prennent vue sur la rue par des fenêtres
ogivales généralement géminées, qui donnent à ces fières façades
une sorte de grâce ardente, un visage où le charme et la violence
se mêlent et qu’on ne rencontre que là. Je néglige volontairement
les palais vénitiens, où le mélange de l’arabe, du byzantin et du
gothique crée une profusion décorative qui ruinerait leur harmonie
dans la lumière dure de l’Italie centrale et que seule autorise la
vapeur d’eau de la lagune opalisant la pierre d’ailleurs peinte à
l’origine de teintes multicolores qui en transformaient le grain.
Ceci n’est point l’Italie, non plus que Ravenne où Byzance règne,
ni la Sicile où l’influence et même la domination arabe est encore
plus sensible qu’à Venise. La véritable architecture romane ne
dépasse guère Rome au Sud, et le style lombard en constitue une
amplification quelque peu froide, dont les éléments
perpendiculaires, d’un aspect si germanique, ne sont pas sans
rapports avec les incursions incessantes, depuis tant de siècles,
des soldats et des marchands descendus des Allemagnes par les
passages alpins. Et les palais civils ne sont déjà plus romans,
mais italiens, leur décor ogival si merveilleusement assimilé mis à
part, c’est-à-dire soumis à une ordonnance sévère où le plein,
l’angle droit et la ligne droite dominent, où l’ornement, très
rare, accuse la fonction, où l’esprit de l’édifice reste concret,
positif, aussi éloigné que possible de toute aspiration mystique ou
idéalisme social.
L’action de Brunelleschi ne sera donc
qu’en antagonisme apparent avec l’esprit qui animait encore, au
début du Quattrocento, les architectes italiens. Ce n’est pas plus
que la sculpture ou la peinture un retour aux origines romaines.
C’est le maintien des principes architectoniques propres à l’Italie
même, dont les palais de Toscane et d’Ombrie portent déjà le
témoignage intransigeant. Ou plutôt, c’est l’application de ces
principes à l’architecture religieuse qui, séduite par
l’ornementation gothique, menaçait d’entraîner l’Italie
–
la cathédrale de Milan en est un
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