L'assassin de Sherwood
se frotta la joue :
— Ah oui ! N’oublions pas ce cher oncle Morgan !
— Et ensuite, mon maître ?
Corbett esquissa un sourire :
— Tu seras libre de revenir à Londres. Je pense que moi, je vais rester à Leighton, car j’escompte recevoir bientôt des nouvelles de France et de Flandre.
Il saisit le jeune homme par le poignet :
— Mais quoi qu’il arrive, Ranulf, à la Noël, tu seras définitivement un dignitaire important : un clerc royal prêt à gravir les échelons glissants de l’avancement !
Ce même jour, l’armée française marchait sur Courtrai. Philippe le Bel pensait que rien ne pouvait résister à la fine fleur de sa chevalerie. Les forces françaises – innombrables escadrons de cavaliers en lourde armure, compagnies de piétons et arbalétriers génois en rangs serrés – ne doutaient pas de la victoire. Eux, les meilleurs cavaliers d’Europe, la plus belle armée de la chrétienté, écraseraient ces petits-bourgeois, artisans et tisserands flamands.
Au soir de ce même jour, la nouvelle inouïe parvint au roi Philippe et aux autres cours d’Europe : cette même armée avait été anéantie. Les Français s’étaient lancés à l’attaque, mais les Flamands les attendaient de pied ferme. Les chevaliers de Philippe avaient courageusement chargé, à maintes reprises, mais leur assaut s’était brisé contre les cohortes compactes des milices flamandes, armées de longues piques et de courtes épées d’estoc. Les survivants s’étaient enfuis de l’autre côté de la frontière. Ce fut un désastre pour Philippe le Bel. Tout ce que put faire le roi de France, ce fut de s’agenouiller devant la statue de son ancêtre, Saint Louis, et se demander amèrement comment cette aventure avait pu si mal tourner.
Le silence régnait sur la forêt entourant Nottingham, sur cet océan de verdure qu’envahissait le crépuscule. Hoblyn, le hors-la-loi, accroupi sous les larges ramures d’un grand chêne, ne quittait pas le sentier des yeux.
Les temps avaient changé, mais Hoblyn, qui entrait dans sa cinquante-septième année, se montrait plutôt philosophe. Dans sa jeunesse, il avait fait partie de la bande de Robin des Bois et lorsque le fameux brigand avait été amnistié par le roi, Hoblyn s’était, lui aussi, lancé sur la voie de la vertu. Mais il l’avait trouvée tellement ardue qu’il était retourné vivre dans la forêt, chassant le gibier du domaine royal, fuyant les verdiers et guettant l’imprudent qui voyagerait sans escorte.
Puis Robin était revenu et Hoblyn avait retrouvé la bande. Comme ses compagnons, il s’étonnait de certains comportements de Robin, mais n’éprouvait pas le besoin de contester. Robin avait toujours été un feu follet : fils de Herne le Chasseur Maudit, il connaissait l’art magique de ne faire qu’un avec les arbres et de parler aux oiseaux et autres animaux ainsi qu’aux lutins et aux elfes qui rôdaient dans les fourrés. Mais Robin était reparti et quelque chose d’horrible s’était passé à Nottingham. On ne parlait que de ça dans toutes les tavernes : Robin avait tué le shérif, sa terrible vengeance s’était abattue sur ce sergent du diable, John Naylor, Robin s’était échappé, mais il reviendrait un jour... Hoblyn ne comprenait goutte à ces rumeurs. Tout ce qu’il savait, c’est que le hors-la-loi et ses lieutenants avaient disparu. Il n’entendrait plus le son du cor qui lui ordonnait de rejoindre les autres ou de recevoir des instructions chuchotées.
Hoblyn haussa les épaules et cracha. Tant pis ! Il était convaincu que Robin réapparaîtrait un jour. Il se figea soudain en entendant un cliquètement de harnais et le pas étouffé d’un cheval. Un cavalier solitaire surgit au tournant de la sente. Les sourcils froncés, Hoblyn s’efforça de percer la pénombre croissante. Il sourit. Apparemment, le voyageur était un ecclésiastique amateur de bonne chère. Hoblyn revêtit son masque, rabattit son capuchon et fonça, à demi courbé, vers les halliers enserrant le chemin. Il encocha une flèche et attendit que le cavalier fût presque à sa hauteur pour s’avancer à découvert. Il arma son arc, pointant le trait acéré droit sur la poitrine de sa victime.
— Que veux-tu ? s’écria l’homme d’Église, interloqué, en retenant son cheval.
— Eh bien, d’abord la gourde de vin qui pend au pommeau de votre selle !
Le prêtre la détacha et elle tomba au sol avec un
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