L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
chaises en osier et lissaient les pages sur la table de
la salle à manger jusqu’à ce que Zee leur apportât un petit-déjeuner rustique
et que Tim partît à l’école. Vers neuf heures, après avoir vidé deux cafetières,
ils se retiraient dans le séjour pendant que Mrs James lavait la cuisine. Ils
évoquaient les nouvelles des deux ou trois jours précédents et commentaient
chaque crime, chaque drame, à l’aune de leurs positions et de leurs convictions
personnelles. Jesse remontait sa montre, puis l’horloge. Il nettoyait un
revolver, le chargeait, en nettoyait un second. La météo fournissait à l’occasion
un sujet de conversation qui pouvait être rigoureusement disséqué pendant
plusieurs minutes, quand ce n’était pas les semis de printemps et les récoltes
qui faisaient l’objet d’interrogations absentes. Bob fit une fois mention de
sauterelles et constata alors, d’après le regain d’intérêt de son auditoire, qu’il
avait inopinément abordé un thème passionnant qui n’avait encore jamais été
discuté.
Le déjeuner était servi à midi, après quoi les
trois hommes faisaient la méridienne ou tuaient le temps sur la véranda de la
cuisine en surveillant Mary qui jouait avec la petite Metta Disbrow ou en
étudiant scrupuleusement une série de dix-neuf photographies ambrotypées. Bob
relut Partisans distingués, ou l’art de la guerre à la frontière de John
Newman Edwards, le seul livre contemporain que possédât son hôte. Jesse faisait
des exercices en plein soleil avec ses massues lestées. Il touchait ses orteils
cent fois de suite. Il tordait des fers à cheval à mains nues. Il étudiait son
physique sous différents angles dans le miroir ombragé de la fenêtre de la
cuisine. Il faisait tâter ses muscles à sa fille et s’amusait de sa
stupéfaction. Il laissait Charley et Bob palper ses biceps gonflés qui étaient
aussi ronds et durs que des balles de base-ball. Il les défiait au bras de fer,
d’abord tour à tour, puis simultanément, s’exaspérant peu à peu de leur
maladresse et de leur faiblesse.
Vers quatre heures, ils allaient chercher les
journaux du soir et la Police Gazette, dans la lecture desquels ils s’absorbaient
jusqu’au dîner, à six heures. Jesse ne grondait jamais ses enfants et ne les
reprenait que rarement ; il ne relevait presque jamais la moindre
impropriété ou inconvenance concernant leur langage, leur hygiène, leurs
manières ou leur caractère et, le cas échéant, sa réaction se limitait à un
regard consterné suivi d’un recours pressant aux bons offices de son épouse. Il
passait les soirées dans le séjour surpeuplé, l’un de ses enfants jouant à dada
sur son genou et le second à côté de lui, pendant que Zee cousait et que les
frères Ford souriaient niaisement. Une fois les enfants endormis, les trois
hommes se rendaient en ville pour disputer une partie de billard dans un saloon
de South Jefferson Street avant de se coucher et, en général, entre onze heures
et minuit, ils s’endormaient à leur tour – ou, du moins, faisaient semblant.
Au bout de trois longues journées de ce
train-train, Bob exhibait de nets signes de nervosité ; le quatrième, il
était si agité que ses jambes trépidaient quand il s’asseyait, qu’il ne pouvait
pas rester plus de deux minutes sur un siège, qu’il se rongeait les ongles, s’arrachait
les cheveux et, de manière générale, faisait tant de simagrées que Jesse
diagnostiqua la chaude-pisse et lui prescrivit avec magnanimité le Tonique
samaritain du Docteur Richmond.
Un jour, Bob entra dans la cuisine afin de
boire une louche d’eau alors que Zee séparait des jaunes et des blancs d’œufs. D’ordinaire,
elle se détournait de Bob dès qu’il approchait ou écourtait leurs échanges en
prétextant quelque besogne domestique. Cette fois-là, elle se contenta de se hausser
sur la pointe des pieds pour attraper un saladier dans le placard en ignorant
le regard boudeur et scrutateur que Bob portait sur ses formes. Celui-ci
remarqua cependant les fins cheveux blonds de Zee qui se dressaient sur sa
nuque et il dirigea ses yeux vers le sol. Zee commença à mélanger ses
ingrédients et Bob bredouilla :
« Pour bien nettoyer un plancher, ce qu’il
faut, c’est le récurer avec du sable, puis avec de la lessive de soude et un
balai bien dur. Vous le rincez à l’eau tiède et quand c’est presque sec – vous
savez, encore un peu humide sous les pieds –,
Weitere Kostenlose Bücher