L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
allait et venait toujours, mais avec
une amplitude moindre. Jesse prit une troisième fois sa visée, il y eut une
détonation pareille à deux planches que l’on tape l’une contre l’autre, un
tintement lorsque les deux balles frôlèrent le couteau et la lame d’acier qui
vibrait en résonnant modula un long trémolo.
Un silence accueillit cet exploit, puis d’aucuns
se mirent à applaudir et à pousser des hourras, d’autres s’accroupirent près du
chêne et bon nombre se ruèrent vers un Thomas Howard rayonnant pour le
congratuler, lui serrer vigoureusement la main et se présenter avec
empressement.
L’adolescent excisa les deux balles du tronc
et fit le tour de l’assistance pour les faire voir à chacun, telles deux
alliances sur un plateau en argent. Bob en attrapa une et frotta son pouce sur
le plat du projectile.
« Elle est encore chaude ? »
demanda le garçon.
Bob rejoignit son frère.
« Il a organisé toute cette mise en scène
à notre intention », déclara-t-il.
Charley eut un sourire.
« Tu pensais que c’était des bobards, hein ?
Tu croyais que c’était des boniments et des craques inventées par les journaux. »
Bob fixa le tireur d’élite, qui montrait Baby
à l’armurier.
« Ce n’est qu’un homme », riposta-t-il.
Les Ford regagnèrent les tables de billard et
Bob remporta la partie suivante. Lorsqu’il se tenait debout, c’était le menton
appuyé sur le procédé de sa queue ; il cala les basques de son manteau
derrière la crosse de son pistolet afin que celui-ci fut bien en évidence quand
il se penchait au-dessus du feutre vert et faisait claquer les billes. À minuit,
Jesse passa les bras autour des épaules de Charley et Bob et les prit sous ses
ailes. Il les aiguilla vers la rue et, tandis qu’ils gravissaient Confusion
Hill, leur narra l’attaque de la Ocobock Brothers’ Bank par les James et les
Younger à Corydon, dans l’Iowa, en 1871 : tout le monde ou presque était
alors à l’église méthodiste où Henry Dean Clay plaidait en faveur d’un projet
de ligne de chemin de fer ; le hold-up était passé inaperçu et les sept
hors-la-loi s’étaient partagé six mille dollars. Or Jesse s’attendait à ce qu’une
bonne partie des habitants de Platte City, Missouri, fussent au tribunal le 4
avril afin d’écouter pérorer le colonel John Doniphan, qui défendait George
Burgess, accusé d’homicide involontaire sur la personne de Caples Burgess, son
cousin. La Wells Banking Company – le nom officiel de la banque de Platte City
– demeurerait ouverte pour sa clientèle commerciale, mais seuls un ou deux
guichetiers seraient à leur poste.
Lorsqu’ils parvinrent à la maison, Jesse s’allongea
sur le canapé du salon et envoya Charley chercher du bois pour le fourneau. Charley
sortit à grandes enjambées et Jesse noua ses doigts sur son ventre en fermant
les yeux.
« Ce qu’on fera, c’est qu’on partira pour
Platte City le lundi après-midi », exposa-t-il.
Bob s’assit par terre, les chevilles croisées.
« C’est loin de Kansas City ? »
s’informa-t-il.
Quelque chose dans la question de Bob éveilla
la réticence de Jesse, qui biaisa :
« Platte City est à une cinquantaine de
kilomètres au sud d’ici. Toi, moi et Charley, on campera le soir dans les bois
et on attaquera la banque un peu avant la suspension d’audience. »
Bob voulut savoir quand exactement, mais son
ton était trop insistant, son attitude trop attentive.
« Ça, tu n’as pas besoin de le savoir »,
lui opposa Jesse.
Bob esquissa du doigt des gribouillis sur le
plancher et Jesse se redressa sur le canapé.
« Tu sais quoi ? reprit-il. Je me
sens à l’aise avec ton frangin. Bon, il est laid comme les sept péchés capitaux,
il schlingue comme un putois et il est si ignare qu’il serait infoutu de
planter des clous dans de la neige, mais il est plutôt de bonne compagnie. Je
ne peux pas en dire autant de toi, Bob.
— Je suis navré de l’entendre. »
Jesse se tut un moment.
« Tu vois comment c’est, quand la lune
est de sortie et que tu es avec ta bonne amie et que tu sais qu’elle a envie
que tu l’embrasses, même si elle ne le dira jamais ? » dit-il enfin.
Bob ne voyait guère, mais affirma le contraire.
« Je reçois de ta part des signes qui me
mettent la mort dans l’âme et qui m’amènent à me demander si tu n’as pas changé
d’avis sur moi.
— Tu veux que je te jure ma bonne foi
comme je
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