L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

scepticisme.
    « Il faut que quelqu’un l’arrête », argua
Bob.
    Charley reporta son attention sur le vase sans
faire de commentaire et Bob alla s’asseoir dans un fauteuil tel un élève modèle
qui attend le retour du professeur. Jesse leur revint avec une bouteille de
sherry planquée sous sa capote et demanda aux frères Ford s’ils étaient prêts. Puis
ils s’en furent tous les trois sous une pluie froide et chevauchèrent jusqu’à
une église luthérienne à quarante-cinq kilomètres de St Joseph.
    C’était un bâtiment en bois peint en blanc, dont
la croix au sommet du clocher était pourvue d’un paratonnerre. Le ministre du
culte était cuisinier dans un restaurant réputé pour sa soupe de palourdes. Comme
c’était alors la coutume, la double porte n’était pas verrouillée et l’intérieur
de l’église, à la fois propre et sombre, sentait l’encaustique et la cire à
bougie. Jesse posa sa capote sur un banc et alluma un cierge de l’autel qu’il
emporta dans le sanctuaire. Bob déroula du bout du pied sa couverture sur le
sol pendant que Charley grimpait sur un banc pour allumer un lustre dépouillé.
    « Si jamais on réussit à être seuls plus
d’un instant, j’aimerais causer un peu plus avec toi », souffla Bob.
    Charley se contenta de faire circuler la
flamme d’une bougie à l’autre et feignit de ne rien avoir entendu.
    Jesse revint du chœur avec une cruche en
faïence au creux d’un bras et une bible à signets dans l’autre. Il sourit.
    « Jus de raisin et sherry », proclama-t-il.
    Mais il ne resta avec eux qu’un court moment
avant de draper son manteau sur ses épaules de se mettre à feuilleter la bible
en lisant apparemment la première page sur laquelle son doigt s’arrêtait.
    Bob dormit pendant vingt éprouvantes minutes
sur le plancher et s’éveilla avec le sentiment d’avoir été inconscient beaucoup
plus longtemps et d’avoir peut-être loupé quelque chose de vital. Il se
redressa et vit son frère abandonné à un sommeil animal, puis Jesse, courbé sur
la bible tel un moine. Bob s’approcha et s’assit sur le banc à côté de lui. Jesse
se lécha un doigt et tourna une page.
    « Quand tu es en plein désarroi, réfère-t’en
à la Bible et ton âme trouvera le réconfort.
    — Ta mère a l’air de rudement bien
connaître les Écritures.
    — Toute ma vie, elle a été un exemple. »
    Bob fit rouler sa tête sur ses épaules afin d’apaiser
son torticolis, puis se pencha pour voir quel livre lisait Jesse.
    « Les Psaumes, l’informa celui-ci. Tu les
as déjà lus ?
    — Jamais tous à la suite, mais je me
souviens de celui sur l’Éternel qui est mon berger.
    — “Tu dresses devant moi une table en
face de mes adversaires” », cita Jesse.
    Bob acquiesça.
    « On l’entend pour les enterrements. »
    Jesse laissa filer quelques pages, à la
recherche du Psaume 41, qu’il parcourut en grattant vigoureusement sa barbe
épaisse avant de la lisser avec soin. Il aplatit la page entre son poing et son
genou et adressa un sourire entendu à Bob, puis commença à étudier le texte
pour lui-même, comme s’il était seul.
    Bob tâcha d’imaginer comment les enfants de
Jesse percevaient leur père – pour eux, il devait être ce géant capable de les
propulser jusqu’au plafond. Ils connaissaient de lui ses jambes, le picotement
de sa moustache contre leurs joues, sa façon de leur caresser doucement les
cheveux. Ils ignoraient comment il gagnait sa vie ou pourquoi ils déménageaient
aussi souvent ; ils ne savaient même pas le nom de leur père ; et
tout cela sembla si injuste à Bob qu’il demanda :
    « Tu réfléchis parfois au passé ? »
    Jesse loucha vers lui.
    « Je ne vois pas ce que tu veux dire. »
    Bob s’efforça de sourire.
    « Tu repenses parfois aux hommes que tu
as tués ? »
    Jesse avança la bougie vers sa main gauche et
pivota légèrement sur le banc.
    « Donne-moi un exemple.
    — Je me disais que tu avais peut-être
songé à ce que ça avait dû être pour ce caissier de Northfield ou ce chef de
train à Winston. Tu fais ton boulot, tu viens de manger par exemple, tu fais
tes calculs ou tu compostes des billets et – pan ! – d’un seul coup, tout
est différent et un type que tu ne connais pas te gueule dessus, un flingue à
la main, tu fais une connerie et – pan ! – tu es mort. »
    Jesse referma le livre et effleura du pouce
les deux mots en lettres d’or sur la