L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
St Joseph,
Jesse m’a sérieusement questionné à propos de Dick Liddil et je lui ai affirmé
que je n’avais pas entendu parler de lui depuis longtemps. »
Charley se rassit et adressa un coup d’œil
soupçonneux à Bob, qui s’approcha de la rampe afin d’inviter le public à
prendre part à l’intrigue.
« Les jours s’écoulaient et d’heure en
heure, ça sentait de plus en plus mauvais pour moi. Je savais qu’il pouvait se
produire tout un tas de choses susceptibles de vendre la mèche à Jesse à n’importe
quel moment et je parcourais scrupuleusement la presse chaque matin. »
Il se décala vers la droite suivant une
suggestion du metteur en scène, afin de mettre en évidence la transition de la
narration à l’action, et continua :
« Le matin du 3 avril, Jesse et moi
sommes descendus nous procurer les journaux en ville comme à l’accoutumée. Nous
étions censés partir ce soir-là pour dévaliser la banque de Platte City et j’avais
peur de ne pas pouvoir l’empêcher et que des innocents se fassent tuer. »
Pendant que Bob achevait son périple jusqu’au
lit, Charley se carra face à la salle, croisa les jambes et darda des regards
belliqueux à la ronde. Bob attrapa un quotidien sur le matelas et se retourna
lentement vers l’auditoire.
« Nous sommes rentrés à la maison vers
huit heures et nous nous sommes installés dans le séjour. Jesse était dos à moi
et il lisait le St Louis Republican. J’ai survolé le Kansas City
Journal sans y découvrir quoi que ce soit d’intéressant. Je l’ai jeté sur
le lit et j’ai pris le Kansas City Times. » Bob examina la une et
ouvrit des yeux horrifiés. « Les gros titres annonçant la reddition de
Dick Liddil m’ont sauté au visage en caractères grands comme la page. Ma seule
pensée a été qu’il fallait que je planque ce journal. »
Bob remarqua ostensiblement le châle écarlate
sur le fauteuil et dissimula le quotidien dessous avec un grand luxe de
mouvements. Une jolie fille maquillée de façon à paraître deux fois son âge
entra d’un pas léger avec un service à café en porcelaine sur un plateau, qu’elle
déposa sur la table.
« Venez manger, Bob, lui enjoignit-elle. Le
petit-déjeuner est prêt. »
Charley se cura les dents pendant que Bob s’asseyait,
puis, boudant la compagnie de ce dernier, alla prendre place dans le fauteuil
où il effectua ensuite, avec affectation, chacune des actions décrites par son
frère :
« Jess ne pouvait pas m’avoir vu
escamoter le Times, mais sans hésiter, il souleva le châle et l’envoya
sur le lit, avant de déplier le journal en regagnant sa place. J’étais certain
que la messe était dite. J’ai ajusté mon ceinturon pour que mon pistolet soit
plus près de ma main droite. J’étais résolu à vendre chèrement ma peau si Jesse
ouvrait le feu. »
La comédienne qui jouait Zee versa du café
froid dans les tasses décorées, puis s’assit sagement à table en lissant sa jupe,
face à la salle. Charley étala le quotidien par-dessus son assiette et se mit à
lire avec taciturnité, le menton appuyé sur ses doigts entrelacés. Bob exprima
tour à tour la panique, la consternation, l’effroi et le désespoir, tels que
les concevait le metteur en scène.
« J’avais le cœur au bord des lèvres, reprit-il
sans lâcher des yeux son vis-à-vis absorbé dans la lecture. J’aurais été
incapable d’avaler une bouchée même si ma vie en avait dépendu. Tout à coup, Jesse
s’est exclamé…
— Tiens donc ! rugit Charley. Dick
Liddil s’est rendu !
— Et il m’a dévisagé, de ce regard sans
merci que j’avais déjà vu tant de fois auparavant.
— Jeune homme, fit Charley en recollant l’un
des côtés de sa moustache postiche qui tombait, tu m’avais, me semble-t-il, bien
dit que tu ignorais si Dick Liddil s’était rendu.
— Il s’est rendu ? se récria Bob. Je
ne savais pas !
— C’est très étrange. Sa reddition
remonte à trois semaines et tu étais pile dans le coin. Ça me semble louche. »
L’actrice rapporta le service à café en
coulisse et Bob se retira jusqu’au fauteuil pendant que Charley le fusillait du
regard et se levait de table, les pans de sa redingote calés derrière la crosse
de ses imposants revolvers.
Bob polit abstraitement ses bottes avec un
foulard rouge et se tourna vers le public à la dérobée tandis que Jesse
arpentait la pièce.
« Je m’attendais à ce que des coups
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