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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Titel: L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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y
aille de sa poche.
    — N’écartons pas trop hâtivement cette
solution, riposta Charley. Après tout, ça se dépense pareil, hein ?
    — Plus d’un prisonnier serait prêt à
payer cinq mille dollars pour obtenir la grâce du gouverneur, lui opposa Farr
avec agacement. Ne mordez pas la main qui vous nourrit. »
    Charley glissa l’enveloppe à l’intérieur de sa
chemise.
    « J’ai comme l’impression que c’est déjà
fait », soupira-t-il.
    Bob et Charley
étaient ainsi dans de bonnes dispositions pour changer d’air et d’égide lorsque
George H. Bunnell débarqua à Richmond avec au bras une actrice à la toilette
raffinée qui avait manifestement calqué son apparence sur celle de la célèbre
Lillie Langtry et parlait avec un accent anglais marqué des plus suspects. Bunnell
était un homme de spectacle new-yorkais qui possédait un musée de curiosités et
une ménagerie de l’étrange à Brooklyn, ainsi qu’une troupe de répertoire
itinérante qui se produisait dans l’Est, dans une ville ou une station
balnéaire différente chaque soir. Il fit d’un dîner dans un café miteux une
véritable fête et, pendant que Bob et Charley dévoraient du regard l’actrice
avec des yeux pleins d’aspirations, il persuada les deux frères de signer un
contrat avec sa « confrérie de comédiens » en leur promettant qu’il
assurerait leur publicité à grands frais, qu’ils joueraient régulièrement
devant un large public, qu’ils toucheraient cinquante dollars par représentation,
à raison de six spectacles en soirée et deux matinées par semaine, que leur
texte, « signé par l’un des meilleurs auteurs de théâtre américains »
les mettrait à leur avantage et qu’un metteur en scène de Broadway les aiderait
à se perfectionner. Induit en erreur par les articles qui leur avaient été consacrés,
il s’était imaginé les Ford comme des garçons ombrageux, de grande notoriété, au
tempérament explosif, qui avaient déjà repoussé de multiples propositions, alors
que bien sûr, il ne leur était jusque-là rien arrivé de nature à leur conférer
un sentiment de prospérité ou de respectabilité et qu’en réalité, en ce mois de
mai, même la ville de Richmond leur était inhospitalière. Dans la rue, les gens
traversaient pour éviter de les croiser, dans les magasins, les vendeurs les
ignoraient, chaque jour leur courrier comportait des lettres pleines d’âpreté, de
reproches et d’avertissements leur prédisant qu’eux aussi se feraient abattre
dès qu’ils auraient le dos tourné. Au moment où George H. Bunnell avait fait
son apparition, ils étaient détenus pour leur propre sécurité à l’intérieur du
tribunal du comté de Ray et veillaient à tour de rôle près d’une haute fenêtre,
depuis laquelle ils effrayaient souvent des enfants en entrechoquant des
casseroles.
    William H. Wallace procura aux frères Ford les
autorisations requises pour quitter le Missouri et, en juin, ils gagnèrent New
York incognito, le nez pressé telle une limace contre la vitre des voitures de
voyageurs, à étudier la géographie étrange et nouvelle qui défilait au-dehors, tandis
que le train franchissait périlleusement une gorge ou décrivait un virage en
épingle à cheveux au flanc d’une montagne escarpée. George Bunnell ne s’éloigna
guère de Bob durant tout le voyage, comme si le jeune homme eût été un trésor d’une
valeur inestimable récemment acquis ; assis dans le wagon-restaurant, de
part et d’autre d’un service en argent, cependant que des serveurs noirs
remplissaient leurs tasses de café à intervalles rapprochés, Bunnell demandait
encore et encore à Bob de lui raconter comment il avait tué Jesse James afin de
mitonner un spectacle à partir des ingrédients les plus récurrents de l’histoire.
    Les auditions confirmèrent vite l’intuition
initiale de Bunnell : Bob possédait un certain talent d’acteur et Charley,
pas un pet. Pour remédier à cette incongruité, l’auteur anonyme façonna la
pièce comme une évocation fière et complaisante des souvenirs de Bob Ford
intitulée Comment j’ai tué Jesse James. Bob apprit à ne pas pourfendre l’air
à grands gestes et à ne pas casser les oreilles du parterre, à tempérer sa
flamme, à ne pas excéder les limites prescrites par la nature et à figurer l’humanité ;
quant à Charley, on attendait seulement de lui qu’il ne fût pas trop voûté, qu’il
ne marmonnât pas trop

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