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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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taverne. Si bien
qu’il arriva ce que nous n’avions mie prévu, les deux hommes tout soudain se
levèrent, et glissant dans la patte du tavernier une pièce de monnaie, se
dirigèrent vers la sortie. Ce n’est qu’à ce moment, car le quidam pivota de
trois quarts pour s’orienter vers la porte, que je vis, barrant sa joue gauche
sur toute la longueur, une profonde et large cicatrice, de celles qui vous
tranchent la peau en deux, et celui qui lui fit cela, j’en eus incontinent la
certitude, ne se pouvait plus encontrer qu’en enfer, à dialoguer avec le Diable
de ses terrestres meurtreries.
    Le cœur battant à rompre ma poitrine, car le lecteur peut
s’aisément imaginer l’effet que cette vision eut sur moi, je pressai l’épaule
de Jonas, qui lourdement se souleva, puis baillant quelques deniers au
tavernier, sans attendre notre dû, nous nous précipitâmes au-dehors. Au visage
tendu de mon maître, je compris que l’identité de notre homme ne lui avait mie
échappé, et celle-ci nulle nécessité de la confirmer puisque, d’un geste, il
nous indiqua la direction empruntée par Cocquelain et son acolyte, laquelle
montait tout droit vers la Lanterne des morts.
    Sur la décision à prendre, à la vérité, se pouvait-il que
nous hésitassions, même le temps d’un regard, lâcher ici notre prise étant
aussi dénué de sens que de voir un pêcheur jetant sa gaule à la rivière lors
que le poisson est en vue. Adonc, sans nous presser plus outre, comme à la
flânerie, et sans plan aucun, nous emboîtâmes le pas des deux larrons, ne
sachant où cela nous mènerait ni s’il était bien prudent de faire ainsi. Mais
de choix nous n’en avions point, et notre unique action en ce prédicament était
seulement de ne pas nous laisser distancer, les gueux se pouvant aisément
tourner en une venelle et disparaître à notre vue si nous n’y prenions garde.
    Plus nous montions et moins les badauds se pressaient, tant
est que, d’un moment l’autre, nous ne fûmes bientôt plus que nous et eux,
l’endroit se révélant bien désert et fort propice à de mauvaises encontres.
Sous la chemise, j’en tâtai mon cotel pour me réassurer de sa présence, le
truchement d’une arme étant hélas, souvent, le seul dialogue qui demeure
intelligible aux gueux. Et lors que nous pensions que les deux larrons allaient
poursuivre vers les hauteurs, nous les vîmes pénétrer en l’ancien cimetière,
lequel n’est pas plus fréquenté que la maison d’un pendu, et sans paraître
douter du but de leur promenade se diriger droit à la Lanterne des morts.
    Je ne sais qui, de mon maître ou de moi, eut le premier la
juste intuition, mais il ne nous suffit que d’un regard pour entendre que nous
pensions la même chose. Aller en lieu désert, ancien cimetière de surcroît,
pour deux gueux de cette sorte ne se pouvait être pour accomplir pieuses
actions de grâce ou prier au repos des trépassés, ni pour s’attrister des dures
traverses de l’existence. Assurément, cette piste nous menait à un rendez-vous
et, dès lors, mon maître nous fit signe de ralentir nos pas, car nous pouvions
en cela y perdre l’avantage du nombre et de l’armement, ce qui était pour
beaucoup dans notre assurance.
    Comme les gueux marchaient eux-mêmes plus
nonchalamment – serait-ce qu’ils touchaient au but de leur
virée ? –, nous nous tînmes en retrait, tendus et attentifs, prêts à
toutes éventualités, bonnes ou mauvaises, laissant une distance suffisante
entre eux et nous pour nous mettre à la fuite si nécessité en venait.
    C’est au pied de la tour des morts que Cocquelain émit alors
un bref sifflement strident et que, de derrière celle-ci et donc dissimulés à
nous jusque-là, surgit – et ce fut pour nous un bien beau
saisissement – notre maître drapier, le sieur Delacombe, accompagné de son
gros commis. Nul doute que rendez-vous avait été donné là, près de la Lanterne
des morts, lieu où on peut causer à l’écart sans être ouï de quiconque, ce bien
tristeux monument funéraire n’étant pas de ceux qui attirent la foule ni les
promeneurs. Or, ce qui étonnait encore plus était que, nous étant rués
incontinent hors la boutique du drapier en la taverne de La Fleur de lys, et
ayant connaissance des faits et gestes de Cocquelain dès ce moment, il ne se
pouvait que ce rendez-vous ait été donné par le drapier depuis notre visite
chez lui. Le hasard ou malfortune voulut donc que cette

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