Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
Vom Netzwerk:
propriétaires du lieu n’avaient pas ménagé leurs deniers
pour obtenir tant de main-d’œuvre, pendant un temps qui ne dut pas être petit,
et qu’ils avaient peut-être de bonnes raisons de se protéger mieux que
quiconque, étant plus menacés que d’autres. Ces réflexions, je me les fis
aussitôt, mais sans formuler clairement que les seigneurs du domaine, tout
comme moi, pouvaient appartenir à la religion réformée de Calvin et de Luther.
    L’encombre et l’embarras pour pénétrer dans le château
résidaient dans le fait qu’il est impossible de lancer un grappin avec de l’eau
jusqu’au cou, car le maniement adroit de la corde requiert la terre ferme,
laquelle donne les appuis nécessaires pour un geste qui exige à la fois force
et précision. D’autre part, l’étang était large, ce qui excluait toute manœuvre
des assaillants consistant à jeter, de la berge au pied de la muraille, un pont
constitué de troncs d’arbres liés entre eux, comme on peut parfois le tenter
avec d’étroites douves. La largeur de cet étang allait de pair avec une
disposition très ingénieuse pour relier le château à la berge. Le châtelet
d’entrée possédait un pont-levis qui donnait sur une première tour peu élevée
et totalement entourée d’eau. Cette petite tour était reliée à une île par un
second pont-levis, et ce n’est que de cette île par un troisième pont-levis que
l’on pouvait enfin poser pied sur la rive.
    Je ne sais s’il existe ailleurs en notre beau pays un tel
agencement architectural et si le modèle en fut copié par le baron de Mespech
et son compagnon d’armes. Il est constant que les nombreuses campagnes
militaires qu’ils ont accomplies au service du roi de France François I er les ont amenés à voyager prou, et que leur expérience en la matière était fort
grande. Quoi qu’il en soit, je restai perplexe devant tant de chicanes, propres
à décourager le plus intrépide des assaillants.
    Sur l’île, on apercevait moult bâtiments qui devaient servir
de remises pour entasser les outils de labour, araires, socs, herses, charrues
et autres, qui, protégés par le premier pont-levis, relevé la nuit comme les
deux autres, ne pouvaient ainsi être robés par les maraudeurs. Ceci constituait
un second avantage à ce dispositif, celui d’offrir un lieu sûr, hors de la petite
forteresse, à toutes sortes d’objets encombrants que la cour trop étroite du
château ne pouvait sans doute accueillir.
    Le lecteur pensera que là s’arrêtaient ces dispositions
défensives et qu’il était superflu de rebuter davantage l’attaquant. Or, le troisième
pont-levis donnait sur un potager et un verger, lesquels étaient entièrement
entourés d’une haute palissade de bois qui, certes, ne pouvait délayer une
armée bien équipée, mais constituait déjà un premier obstacle des plus ardus à
franchir pour une bande de gueux, affamés et désarmés.
    J’eusse volontiers renoncé à mon entreprise, car après tout
rien ne m’obligeait à défier ce castel-ci plus qu’un autre, si je n’avais
découvert au cœur de cette armure une petite faille, que je pouvais mettre à
profit, et qui eut l’heur de me plaire, étant à l’âge où une action périlleuse
est aussi appétente qu’une jolie garce et où les conséquences n’en sont pas
entrevues aussi clairement qu’elles le devraient. Sur la berge intérieure de
l’île, celle tournée vers le château, se trouvait un lavoir dont le toit assez
élevé constituait un promontoire duquel un grappin pouvait être lancé en
direction des remparts, le bras d’eau à ce niveau n’étant point aussi large
qu’ailleurs. Il y fallait de la folie à se lancer en une telle aventure mais,
aussitôt conçue en mon esprit, l’idée ne put s’en déloger et j’attendis la nuit
pour la mettre à exécution.
    Au crépuscule, je vis rentrer au château des gens de ma
condition, portant sur leur visage la marque du dur labeur qu’ils avaient
consenti une journée de plus sur leur triste vie, mais aussi un tout jeune
homme, à cheval, la tête haute et fière mais sans arrogance aucune, que je
n’eus pas de peine à identifier comme étant le fils du seigneur. Puis, les
trois pont-levis furent successivement relevés et le château s’ensommeilla dans
l’obscurité naissante, ne présentant plus qu’une ombre imposante se reflétant
dans l’eau noire de l’étang.
    Ne renonçant nullement à ma stratégie habituelle

Weitere Kostenlose Bücher