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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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nuit,
laquelle flottait autour de son corps d’une maigreur extrême, et il portait
haut dans la main le calel, dont la mèche allumée tentait de percer au plus
loin l’obscurité de la salle mais qui éclairait surtout son crâne chauve
parsemé de larges taches rousses, ses joues creusées et sa bouche en partie
édentée.
    — Qui êtes-vous ? Que faites-vous céans ?
cria-t-il d’une voix assurément plus forte et tonnante que son aspect chétif ne
le laissait augurer.
    Peyssou marcha droit sur lui, lui arracha d’une main le calel,
tandis que de l’autre, je le vis enfoncer son couteau jusqu’à la garde dans le
ventre du vieil homme. Sans un cri, pas même un souffle, le vieillard s’écroula
aux pieds de Peyssou, désarticulé, les jambes recroquevillées et tordues sous
son buste, les bras balancés en avant, dans une position grotesque et
improbable, telle une simple poupée de chiffon.
    Je fus épouvanté par cette meurtrerie. Peyssou s’en alarma
car il me jeta un regard par en dessous et s’écria :
    — Eh quoi ! Qu’espérait-il encore de la vie,
celui-là ! Dieu a de peu hâté les choses, rien de plus ! Au travail,
Miroul, au travail !
    Et sans attendre ma réaction, il ouvrit toute grande
l’armoire de gauche et commença à faire valser les draps qui s’y trouvaient
entassés.
    Je ne fus pas long à prendre une décision car ma volonté,
pour dire le vrai, n’y fut pas pour grand-chose. Par la porte ouverte, je
m’élançai, traversai le jardin, sautai par-dessus le mur et détalai dans les
rues jusqu’à en perdre haleine. Puis je courus dans les bois, droit devant, au
hasard, pour finalement tomber épuisé face contre terre, pleurant toutes les
larmes de mon corps. Je m’endormis, cependant, mais j’eus un sommeil agité où
le visage de ce pauvre vieillard me poursuivait sans cesse de quelque côtel que
je me tournasse.
    Ce que devint l’affreux Peyssou, oncques ne le sus, sinon
que je cuide assez qu’il joua un jour le rôlet du pendu à un quelconque gibet,
comme souvent les gueux de son espèce.
    Que le Seigneur, dans sa grande indulgence, m’ait pardonné
cette brève incursion au royaume de truanderie, c’est sans certitude aucune que
je le crois, mais le lecteur doit considérer que je n’étais lors qu’un béjaune,
tout juste échappé de ma campagne, et de ce fait facile à tromper par le
premier venu. Cette leçon, comme d’autres, ne fut pas perdue, mais il m’arrive
encore de m’apenser avec horreur à ce que je fusse devenu sans l’enseignement
simple et droit prodigué par mes parents qui surent, en leur temps, me donner
l’attrait du bon grain et le dégoût de l’ivraie.
    Du reste, même du pire on peut tirer profit, et je suis
reconnaissant à Peyssou de m’avoir instruit dans le lancer du couteau,
redoutable secret dont je n’eus l’usance dans ma vie que pour me défendre mais
qui me tira plus d’une fois des mauvais pas où j’allai donner le bec en
compagnie de mon maître Pierre de Siorac.
    Je dois aussi à cette triste mésaventure la découverte de la
richesse, et l’ameublement du bourgeois, juste entrevu en cette folle soirée,
me fit toucher du doigt que son monde ne pouvait être le mien et ne le serait
jamais, du moins le croyais-je à l’époque. Et la réflexion que je me fis
là-dessus, je vous la livre sans rien déguiser ni espérer emporter l’adhésion.
Il me sembla que rober un riche était de moindre conséquence que rober un
pauvre, ce dernier n’ayant plus rien si on lui enlève le peu qu’il possède lors
que le riche a plus de biens en sa demeure que ses deux bras ne pourront jamais
en étreindre. Mieux vaut enlever le trop qui dort d’un côtel que l’essentiel
qui sert chaque jour de l’autre.
     
    À partir de ce jour, je renonçai au poulailler du pauvre
paysan pour viser, non pas les demeures bourgeoises des bourgs où la quantité
de personnes qui y vivaient ne pouvait qu’accroître les risques de se faire
prendre, et pendre, mais les castels isolés dans la campagne, où la
surveillance est relâchée en raison des hauts murs qui donnent l’illusion au
nobliau d’une protection inviolable.
    Le premier que j’aperçus fut le bon et je jetai mon dévolu
sur le château de Laussel, lequel s’ensommeillait paisiblement au fond de la
vallée des Beunes sans soupçonner qu’un jeune singe rôdait autour de lui. Avant
que d’agir, je l’observai longuement avec une impatience fébrile,

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