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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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et si, au début, le manche vint à heurter le tronc
sur lequel je m’exerçais, je parvins assez vite, en une matinée tout au plus, à
lancer avec adresse, le couteau effectuant en plein vol la rotation nécessaire
pour venir se ficher profondément dans l’écorce. Peyssou suivait ces progrès
rapides d’un œil satisfait, en hochant du chef, content et de son élève et de
son enseignement.
    Au bout de deux jours, il partit seul au bourg afin que d’effectuer
des repérages, me dit-il, ajoutant qu’il savait jà où nous allions intervenir
mais que lui, Peyssou, ne laissait jamais rien au hasard. Quand il revint, en
fin d’après-midi, je m’exerçais au lancer du couteau, fasciné par mes propres
progrès, devenant capable de saisir mon cotel en un éclair puis dans le même
mouvement de le lancer à pleine force sur un tronc étroit situé à quelque dix
pas de moi. J’en étais ravi et, inlassablement, je corsai la difficulté,
choisissant des troncs de plus en plus fins et augmentant la distance du
lancer.
    — C’est pour ce soir, fit-il sans me regarder et il
s’allongea dans l’herbe, sur le dos, les bras ramenés sous la tête, et ferma
les yeux sans rien ajouter.
    Refroidi dans mon ardeur par tant de mystère, je cessai mes exercices,
m’allongeai également, et comme le soir tombait et que j’avais joué du cotel
toute la journée, je ne tardai pas à m’ensommeiller.
    Sur le coup de la minuit, une forte main me secoua l’épaule
et, d’un geste bref mais impérieux, Peyssou me fit signe de me lever et de
ramasser toutes mes affaires. Sous une lune pâle et incertaine, nous
descendîmes jusqu’au bourg, et pénétrant par la porte principale, laquelle
n’était mie gardée, nous primes la direction de l’église. Soudain, il me stoppa
par le bras et me dit en un souffle comme s’il devenait urgent de me mettre
enfin dans la confidence :
    — C’est un vieux bourgeois… sa femme est morte l’an
passé… ses deux servantes rentrent dans leur famille chaque soir… et dort seul
la nuit. De la pécune, il en tombe de ses poches tant il en a… et il la cache,
chez lui, dans une armoire…
    — Comment le sais-tu ? demandai-je à voix basse.
    — Je le sais, n’est-ce pas suffisant ? répondit-il
en se redressant et en m’adressant un sourire entendu. Et c’est une algarde
sans péril car le vieil est sourd comme barrique !
    Dans une ruelle non loin de l’église, il me désigna une
façade sombre, maison de bourg comme toute autre pareille, mitoyenne de ses
consœurs, mais dont l’accès n’était permis que par une solide porte d’entrée,
laquelle était fermée à triple tour comme bien on pense. Comme, du menton, je
désignais à Peyssou les larges ferronneries, il me tira par la manche jusqu’à
une venelle si étroite que deux hommes ne pouvaient l’emprunter de face. Elle
longeait d’abord la maison, par le côté, puis ensuite un mur qui limitait un
jardinet attenant au logis. En silence, Peyssou se hissa sur le mur et se
laissa glisser de l’autre côtel. Je fis de même, non sans que le cœur ne me
serrât de ce que je faisais, car c’est certes une larronnerie que de
s’introduire dans un poulailler de ferme, mais c’en est une tout autre que de
pénétrer dans la maison d’un bourgeois.
    La façade arrière était à l’abri des regards, et la porte
facile à forcer car d’une épaisseur assez modeste, si bien que le verrou sauta
sans grande résistance sous l’action de mon grappin que j’utilisai en levier.
L’opération fit certes un peu de bruit mais Peyssou ne sembla guère s’en
soucier. À l’intérieur, nous pénétrâmes dans la salle principale dont
l’ameublement me fit l’effet d’une grande richesse, et riche ça l’était,
comparé à la ferme de mes parents, mais si peu pourtant en comparaison des
luxueuses demeures des nobles que j’allais découvrir par la suite.
    Peyssou me désigna plusieurs commodes, me faisant signe de
les fouiller, tandis que lui s’occuperait des deux gigantesques armoires qui se
trouvaient de part et d’autre de la cheminée.
    La porte du couloir s’ouvrit soudain et une lueur éclaira la
pièce. La foudre tombant sur le carreau n’aurait pas produit chez moi plus
grande stupeur. Je me figeai, cherchant des yeux un endroit où me dissimuler
mais, hélas, ne trouvant rien au milieu des tables et des fauteuils qui
encombraient l’espace.
    Un vieillard se trouvait à l’entrée, en chemise de

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