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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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on sait bien que la première
impression dans une rencontre, quelles qu’en soient les circonstances, et Dieu
sait si celles-ci étaient bien exceptionnelles, peut marquer à jamais la relation
qui se noue.
    À l’époque, Pierre de Siorac n’avait guère plus d’une
douzaine d’années. Si ce n’était plus un enfant, ce n’était pas un homme non
plus et il était à cet âge où on a parfaitement conscience de cet inconfort, et
de la frustration de n’être pas encore du côtel que de tout son cœur on aspire
à rejoindre. Il jouait à l’homme, certes, mais, je le dis sans flagornerie
aucune, le costume n’était pas trop grand pour lui, et on sentait toute
l’impatience d’une âme forte et généreuse, entière, ambitieuse aussi dans cette
volonté à prouver sa valeur.
    Il avait le cheveu blond, le regard azuréen, et bien fait de
sa personne, la taille fine, la membrature solide et vigoureuse, il me fit, par
l’honnête aspect de toute sa personne, une impression durable de franchise, de
rectitude et de probité. Cette opinion, je l’ai toujours, même si par la suite
je compris que Pierre de Siorac avait aussi en partage l’intelligence qui
autorise le calcul et la manœuvre quand on est face aux loups, ceux de cour en
particulier.
    Dans l’étonnant prédicament de ce matin-là, comprenant enfin
l’incongruité de sa découverte qui dut agir sur son cerveau comme un coup de
fouet, Siorac se redressa tout à plein, reprit cette mâle assurance qui la
veille avait forcé mon admiration, et s’écria d’une voix forte :
    — Qui es-tu, maraud, et que fais-tu céans ?
    Ce n’est qu’en entendant ces paroles et surtout le ton
impérieux du jeune homme, que je compris réellement que j’étais pris et que mon
aventure prenait un vilain tour. En cette malfortune où la panique m’envahit,
je n’entrevis qu’un seul remède pour m’échapper à toute force de ce filet où
j’avais en toute insouciance donné le bec.
    D’un saut, je me mis sur mes jambes et bondis vers la sortie
que barrait Pierre de Siorac. Dieu m’est témoin que je n’avais aucune intention
belliqueuse, sinon que de passer la porte afin de remonter sur le rempart et
m’enfuir par la seule voie aérienne qui était la mienne. Cet espoir, si j’y
avais réfléchi ne serait-ce qu’une seconde, était vain, car comment aurais-je
eu le temps de faire en sens inverse le long et dangereux parcours, de la
muraille à l’île, puis de l’île à la grande terre, sans que les gens du
château, alertés par leur jeune seigneur, ne me cueillent soit sur l’île soit
sur la rive lointaine ? Mais la raison n’est pas toujours maître de vous
quand le destin est en jeu et je me précipitai comme un furieux, tête baissée
et, de fait, le couteau à la main puisqu’il s’y trouvait jà au moment où je fus
surpris.
    Ce fut pour moi une rude déconvenue car j’ignorais que les
nobles sont instruits depuis leur plus jeune âge dans les jeux du combat et de
l’escrime. Alors que je croyais atteindre la porte et pensais qu’il me
suffirait dans le même mouvement de bousculer le garçon pour filer, je reçus
dans le bas-ventre un coup de botte particulièrement bien ajusté, preuve que le
jeune Pierre de Siorac profitait à plein des enseignements de quelque maître
habile. Je soupçonne du reste, sans certitude aucune, que ce devait être la
première fois qu’il les mettait en application dans une véritable algarade et
je devine sa joie de vérifier leur efficacité, même si ce jour-là ce fut bien à
mon détriment.
    Plié en deux comme vous pouvez l’imaginer, j’étais pour
quelques minutes totalement hors d’état de me défendre et l’ironie ne fut-elle
pas pour moi de voir Pierre de Siorac, profitant de ces terribles
tressautements de douleur qui me branlaient, se saisir de mon grappin et, avec
la corde de celui-ci, me ligoter comme saucisson et m’attacher solidement au
pied de la lourde table de chêne du charnier. Ensuite, avec une évidente
satisfaction, il saisit l’escabeau, et se posant dessus, me dominant ainsi de
beaucoup puisque j’étais maintenu à terre, il me considéra de ses yeux bleus où
je ne discernai, maugré la rudesse de notre première rencontre, nulle haine
d’aucune sorte.
    Ici, il me faut revenir sur un point des Mémoires de mon
maître qui m’a fort chagriné et que je souhaiterais qu’il retire, si d’aventure
une réédition en est autorisée par notre bon roi

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