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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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pour accrocher le grappin
à la bobèche, le plus extraordinaire de l’affaire étant que tout se passa comme
je l’ai narré ci-dessus, et que je parvins à me hisser sur le chemin de ronde,
certes épuisé par l’exploit, mais sans m’être nullement rompu le col en tombant
dans le vide le long de la paroi verticale.
    Une fois dans la place, j’enroulai la corde, fixai sur mon dos
le grappin et partis furtivement à l’aventure, le cœur battant fort dans ma
poitrine et tout émotionné encore d’être parvenu à mes fins. De la courtine où
je me trouvais, on pouvait accéder à la cour par un escalier droit, sans
rambarde, qui longeait intérieurement la muraille jusqu’en bas. Non sans
multiples précautions, l’oreille aux aguets, conscient que descendre dans la
cour était aussi dangereux que d’entrer dans une nasse, je l’empruntai
néanmoins et me retrouvai dans un espace plus large que je ne l’avais supposé
et qui donnait sur de nombreuses ouvertures.
    Lors il se passa ce que je n’avais du tout prévu. Les
efforts immenses entrepris pour franchir tous ces obstacles me portèrent
soudain peine et je fus à deux doigts de défaillir, les jambes flageolantes
assez pour que je m’assisse un instant sur le pavé. Je compris vite qu’il me
fallait à tout prix me restaurer, au risque, sinon, de ne pouvoir emprunter au
retour le périlleux chemin que j’avais emprunté à l’aller. De la position
assise où je me trouvais, un peu haletant de l’intempérie qui m’avait saisi
tout à plein et me tournait la tête, j’envisageai les différentes portes et
j’entrepris, tout à fait au hasard, de me traîner lentement vers l’une d’elles.
    C’était la salle commune, grande pièce équipée pour la
cuisine avec sa vaste cheminée, son cantou, et où les repas devaient se prendre
tous ensemble en une immense table flanquée de plusieurs bancs, lesquels
pouvaient accueillir au moins une vingtaine de personnes. Dans ma recherche
obstinée de nourriture, je découvris une petite pièce attenante qui était le
charnier du lieu et où pendaient aux poutres des salaisons de viandes, mais
aussi de poissons, si grosses que je n’avais aucune souvenance d’en avoir
jamais vu de telles.
    Travaillé comme je l’étais par la faim, il me fallut
plusieurs minutes, la sueur perlant à mon front, pour décrocher un jambon qui
se révéla si lourd à ma faiblesse que j’eus grand-peine à le retenir et à
éviter qu’il ne me tombât tout à plein sur les pieds. Quand il fut bien serré
entre mes bras tremblants, je me traînai jusqu’à un escabeau, m’installai
dessus aussi confortablement que possible, et le jambon sur les genoux,
j’entrepris avec mon couteau de le dégager de sa couenne pour en couper une
bonne tranche de chair rouge. Je salivais tant et tant pendant tout le temps
que dura ce labeur que des filets d’eau me coulaient de la bouche jusqu’à
terre.
    Ce que fut le réconfort de cette tranche de jambon, je ne
trouve pas les mots pour l’exprimer, mais le lecteur pourra sans difficulté
aucune l’imaginer. Je me sentais presque mourir et c’est la vie qui revenait
peu à peu. J’étais si pressé de la recouvrer entièrement que je mâchais la
viande sèche et dure du jambon avec une telle violence que les muscles de ma
mâchoire demandaient grâce tandis que je coupais fébrilement une seconde
tranche, la bouche pourtant encore tout encombrée de la première.
    C’est dans cette attitude de larron en foire que je fus
découvert. La porte du charnier s’ouvrit brusquement et j’aperçus sur le seuil un
jeune homme qui me regardait béant, tant étonné de surprendre ainsi un quidam
inconnu introduit dans la place qu’il en restait sans voix, se demandant
peut-être s’il ne rêvait pas encore dans cette quasi-obscurité, car il était de
si bonne heure que la clarté du jour commençait à peine à se remarquer.
    Je n’eus pas de peine à reconnaître en ce garçon celui que
j’avais entraperçu la veille, sur son cheval, droit comme un i , rentrant
au château dans une belle et noble attitude qu’il devait avoir plaisir à tenir.
Mais à ce moment, à la pique du jour, il avait les yeux gonflés de sommeil et
son teint n’était pas si clair, tout ensommeillé qu’il était encore, la
démarche un peu hésitante et les épaules légèrement voûtées.
     
    De ce premier face à face avec mon maître, Pierre de Siorac,
je voudrais, lecteur, en dire un peu plus, car

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