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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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Henri IV. De ce que je
bondis sur lui le couteau à la main, mon maître en a conclu à l’époque que,
pour m’enfuir, j’étais prêt sans autre procès à lui passer ma lame à travers le
corps. Rien n’est plus faux, en vérité, et comme je l’ai indiqué plus haut, le
couteau n’était sorti en ce prédicament que pour couper une simple tranche de
jambon et n’a jamais eu d’autre destination. Si je me sens tant mortifié par
cette injuste accusation, c’est qu’elle me rabaisse à l’âme vile de l’ignoble
Peyssou, qui n’hésita pas dans une situation comparable à enfoncer son couteau
dans le ventre d’un pauvre vieillard en sa demeure bourgeoise d’Al Bugua. Le
lecteur sait à quel point je souffris de m’être trouvé mêlé à cette affreuse
meurtrerie et j’espère qu’il me fera l’aumône de me croire quand j’affirme que
la pensée d’une telle bassesse ne m’a pas effleuré la moitié d’une seconde face
à Pierre de Siorac.
    Récupérant lentement de mon pâtiment, je mesurai la sottise
de mon action inconsidérée car, à vrai dire, étant plus âgé que Siorac, j’aurais
pu l’emporter à la lutte si je m’étais méfié un tant soit peu. Il avait certes
déjà ma taille, pour la raison que les nobles sont plus grands que les paysans,
car saine jeunesse et abondance de nourriture les déploient, tandis que nous
autres paysans, envoyés aux champs si jeunes, nos muscles s’y nouent, empêchant
le corps de pousser, et ce d’autant plus que notre pitance est maigre. Mais je
lui étais à l’époque supérieur en force autant que peut l’être un adolescent de
trois ou quatre ans plus âgé et je ne sus profiter de cet avantage, étant
cueilli comme un béjaune par une science Spartiate dont j’ignorais tout.
    À la parfin, Pierre de Siorac reprit sa question initiale
sans la modifier en rien, montrant par là une parfaite maîtrise de ses nerfs
maugré la brutalité de notre courte lutte.
    — Qui es-tu, maraud, et que fais-tu céans ?
    Pendant tout ce temps, et aussi extraordinaire que cela
puisse paraître, j’avais conservé dans ma bouche la tranche de jambon, et la
faim étant décidément plus forte que tout, je me remis à mâcher pour non pas la
perdre, même si je devais finalement être pendu en ce prédicament. Le jour se
levait et je m’apensai tristement que celui-ci pouvait bien être le dernier de
mon existence, et que le temps de me recommander à Dieu était peut-être venu,
étant entendu que personne ne le ferait à ma place.
    — Comment as-tu atterri au milieu de notre
charnier ? répéta le jeune Siorac qui commençait à s’irriter de mon
mutisme et du calme apparent que je montrais.
    Sur cette placidité soudaine, je peux dire peu de chose
sinon que, lorsque votre famille tout entière a été massacrée sous vos yeux de
la plus atroce des façons, on a le sentiment que le sursis accordé par le
Tout-Puissant est tout à la fois impénétrable et de courte durée, comme une
épreuve supplémentaire qu’il vous inflige avant que de vous rappeler à lui et
auprès des vôtres. Et pourquoi à moi ce sursis, je l’ignorais, mais j’eus la
conviction qu’il touchait ici à sa fin.
    Cependant, sentant l’agacement de Siorac et craignant de
l’indisposer encore plus à mon égard, je répondis enfin, non sans continuer à
mâchouiller ma tranche de jambon.
    — Avec mon grappin, Moussu, j’ai franchi une à une vos
défenses et escaladé la muraille, dis-je simplement.
    — Te gausser de moi en cette affaire hâterait ta perte,
répondit-il, et les menteries ne seront point pardonnées par mon père ! Je
veux que tu me dises qui t’a aidé à t’introduire dans Mespech. Est-ce l’un de
nos gens ? Quel est le traître qui s’est glissé parmi nous sans que nous
le reconnaissions ?
    — Aucun, Moussu, je vous le jure ! J’ai agi seul,
sans l’aide de quiconque, sinon celle de Dieu qui m’a baillé souplesse et
agilité à la naissance !
    À cette évocation de Dieu, je vis la face du jeune Siorac se
rembrunir et ses yeux s’enflammer.
    — Ne commets pas Dieu dans ton forfait, larron, ce
serait blasphème ! Quand on robe son prochain, on se met au-delà des
préceptes divins et de leur enseignement ! Imagines-tu que je vais te
croire si tu prétends avoir grimpé à notre haute muraille verticale, comme
lézard sur son mur, sans te rompre le col ?
    — C’est pourtant la vérité, Moussu ! affirmai-je
avec un tel

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