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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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accent de sincérité dans la voix que Siorac s’accoisa un instant et
me considéra avec attention.
    — Et comment t’y prendrais-tu si cela devait être
vrai ? reprit-il après une pleine minute qui me parut fort longue.
    — Je croche le grappin et je monte à la corde, Moussu.
En vérité, il ne faut voir là aucune diablerie, l’adresse seule y suffit !
    — Et les chiens dans l’enclos ?
    — Les chiens oncques ne me mordront, ayant été élevé
parmi eux, je suis des leurs.
    Pierre de Siorac se tint coi derechef, et je devinais sa
perplexité, partagé qu’il était entre mes réponses qui avaient tout de la
vanterie gasconne, et ma bonne mine qui n’avait rien du larron.
    — Drôle ! dit-il, c’est pour croquer une tranche
de jambon que tu risques par deux fois ta vie, en escaladant des murailles
vertigineuses d’abord et en robant un baron ensuite ?
    — Moussu, c’est Dieu qui décide de tout et s’il veut me
rappeler à lui, point ne m’est nécessité de faire tout cela, un signe de lui
suffira.
    — Ceci est bien répondu, point n’est besoin en
effet ! Mais sais-tu ce qu’il va advenir de toi si mon père te
trouve ?
    — Je serai pendu ?
    — Eh oui, niquedouille, tu seras pendu et devant tout
le domestique rassemblé encore !
    Si je peux assurer le lecteur que je ne craignais pas une
telle issue, car la vie de famine menée sur les routes me rebutait tout à plein
et j’avais parfois grande hâte de rejoindre les miens, une poignante tristesse
m’accabla cependant devant le cru énoncé de la chose et ma gorge se noua tandis
que je regardais le jeune Siorac de mes yeux vairons. Ce dernier observait ma
réaction et brusquement, sur un ton qui me surprit, il demanda :
    — Tu ne me demandes pas grâce ?
    — Grâce, Moussu ?
    — De te libérer et de te laisser filer ?
    — Non pas, Moussu, c’est trop tard. Vous tenez votre
rang, de belle manière, et vous trahiriez prou votre père en me relâchant
maintenant.
    À ce moment, comme j’avais avalé le dernier morceau de
jambon, très salé et bien sec, je me sentis totalement asséché, la langue se
mouvant avec peine sur le palais, et Siorac, le remarquant, se leva de lui-même
pour m’apporter un bol de lait qu’il me fit boire en silence. Je me doutais
bien que s’agitait en sa tête un bien complexe pensement, car sa question avait
été fort traîtreuse et s’adressait plus à son propre étonnement de ne pas me
voir l’implorer. Nul doute qu’il ne m’aurait pas accordé cette grâce –
comme il disait – si je la lui avais réclamée, mais j’étais allé jusqu’à
la refuser, en faisant appel à son devoir filial, ce qui ne laissait pas de
l’intriguer et de l’impressionner.
    — Et n’as-tu pas grand désir de changer de vie ?
lança-t-il au bout d’un moment.
    — Si fait.
    — Que faisais-tu donc avant que d’être larron ?
    — Paysan, Moussu, à la ferme de mes parents.
    — Et que n’es-tu resté avec eux à vivre honnêtement de
ton labeur, aussi dur soit-il ?
    Comme chaque fois que je pensais aux miens et à mon existence
d’autrefois, ma face pâlit et l’émoi me travailla, si bien que j’eus de la
peine à répondre, les mots se frayant difficilement un chemin jusqu’à la
surface.
    — Toute ma famille a été massacrée par des gueux et
rien ne pourra jamais m’en consoler, Moussu, sinon le trépas.
    — Est-ce ce que tu cherchais en t’introduisant en
Mespech ?
    Je baissai la tête à cette remarque, laquelle ne s’était
jamais posée en ces termes pour moi, et j’y songe encore, quelque quarante
années plus tard, sans connaître la réponse, sinon que je trouve que Pierre de
Siorac, maugré son jeune âge, aimait déjà à creuser au fond des énigmes de
l’âme dont nous ne découvrons jamais la vérité tout à fait.
    — Et pourquoi ces gueux ont-ils massacré les
tiens ? s’enquit-il tout à trac avec une étonnante intuition.
    — Nous sommes de la religion réformée, et je suis bien
marri de vous bailler une raison supplémentaire de me pendre, Moussu.
    — Que nenni, bien au rebours ! s’exclama Siorac
dont le visage s’éclaira, la mine soudain réjouie et claquant même dans ses
mains. Tu es des nôtres, sais-tu ? Et je comprends mieux à présent la
curieuse impression que tu donnes, larron par accident et non par vice, qui ne
demande qu’à rentrer dans le droit chemin de l’honnêteté !
    Il se leva, en proie à une

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