L'avers et le revers
assez vive excitation, fit
quelques tours et détours dans la pièce, puis revint se planter devant moi, et
me considéra une pleine minute.
— Ton nom ? dit-il assez abruptement.
— Miroul, Moussu.
— Eh bien, Miroul, tu me plais ! Et je serais fort
rebuté de te voir jouer le pendu dans notre cour devant le domestique
rassemblé !
— Moi aussi… dis-je assez sottement. De beaucoup, je
préférerais être au service de Moussu que je protégerais de mon mieux.
À cette réponse, Siorac rit à gorge déployée et
s’exclama :
— Le bon garde que je m’attacherais là, toi que j’ai
mis si facilement hors de combat d’un coup de botte !
— Nenni, Moussu, protestai-je non sans ressentir une
forte humiliation, et de son rire et du coup de botte qu’il évoquait et de ma
condition de prisonnier, ligoté et impuissant. Bien mieux je vaux, en vérité,
et je peux le montrer, pour peu que vous me libériez le bras droit, car mieux
que quiconque je lance le cotel sur sa cible.
— Quoi ? Tu veux que je te libère le bras et te
glisse un cotel dans la main ?
— Avec votre permission, Moussu, dis-je humblement.
— Avec ma permission ? Mais ce drôle me fera
mourir de rire ! Miroul, je ne sais encore si tu es sot comme coq au
poulailler ou malin comme goupil en vadrouille, mais je vais faire un pari sur
toi et ta bonne mine !
Et tout en parlant, il me libéra le bras, ramassa mon
couteau qui traînait sous la table et, se tenant en retrait, prêt à toute
éventualité, me le tendit.
— Montre voir ce que tu sais faire, dit-il, et je
sentis au son de sa voix qu’il était intrigué assez et attendait beaucoup de la
démonstration.
Prudemment, il s’était reculé assez loin derrière moi, dans
une position que je ne pouvais atteindre, même en me tortillant comme une
anguille, attaché comme je l’étais à ce pied de table, preuve que le jeune
Siorac était avide de découverte mais savait prudence garder dans les
circonstances où la moindre distraction peut vous coûter prou.
Je saisis le couteau par le manche et, cherchant des yeux un
objectif qui, par la distance et par la taille, servirait au mieux mon propos,
j’aperçus face à moi, dans l’espace le plus reculé du charnier et pendue au mur
par un clou, une écuelle en bois, fort petite en vérité, mais qui faisait une
cible parfaite, sinon qu’elle était réellement difficile à atteindre.
— Voyez-vous cette écuelle, Moussu ?
— Je la vois.
— C’est comme si elle était morte.
Siorac rit à gueule fendre de cette saillie tandis que je
levais le bras et, le détendant comme un ressort, je lâchai le couteau, lequel
fendit l’air en silence pour venir, en un claquement sec, se ficher
profondément dans l’écuelle qui, branlée par le choc, se décrocha de son clou
et tomba non sans bruit sur le sol.
À la vue de cet exploit, Siorac battit des mains comme un
enfant et se précipita sur l’écuelle pour l’examiner de plus près et, sifflant
d’admiration, retira le couteau du bois, ce qui exigea de la force car la lame
y était profondément enfoncée. Revenant auprès de moi, et s’asseyant de nouveau
sur l’escabeau, il reprit la parole en posant sur moi ses yeux azuréens.
— Lézard sur le mur, chien dans la meute, et avec
cotel, adroit comme Sarrasin, tu ne manques pas d’atouts en vérité et, à mon
service, souhaiterais bien t’avoir. Hélas, ajouta-t-il et sa face s’était
rembrunie, hélas, il y a mon père…
— Votre père, Moussu ?
— Mon père qui voudra te pendre car tu es un larron,
introduit nuitamment dans nos murs pour nous rober.
— Un jambon…
— Peu importe, coquefredouille ! Le fait est là et
mon père ne verra que l’exemple fort mauvais qu’il donnerait au domestique en
te récompensant, par la vie sauve, de ton forfait.
Lors il y eut un long silence pesant, chacun s’apensant de
son côtel, moi à la malfortune qui m’était promise et lui, je ne le sus que
plus tard, à la manière dont il pouvait m’en sortir. Cette méditation ne fut
interrompue que par la porte du charnier qui s’ouvrit toute grande pour laisser
apparaître sur le seuil une grosse femme, ni jeune ni vieille, fagotée à la
diable, la robe lui tombant par plis sur les côtés comme un drap sale, les yeux
petits dans un visage rond et gras, et agitant de gros bras nus et flasques,
lesquels cernaient un buste où on aurait été bien en peine de distinguer la
poitrine
Weitere Kostenlose Bücher