L'avers et le revers
étape par étape, toutes les acrobaties qui
m’avaient conduit au cœur de la forteresse afin que de prouver que je ne
mentais pas. À mon avis, il n’en doutait pas vraiment, mais en bon capitaine et
maître d’œuvre de la défense du lieu, il souhaitait vérifier de visu que
le château possédait une faille à ce point béante qu’il pouvait être investi
par un jeune drôlassou comme moi.
Si, au final, je ne fus pas pendu après cette périlleuse
démonstration de mes talents, je le dois à mon sens à trois raisons qui
s’emmêlèrent joyeusement. Tout d’abord, déterminante entre toutes,
l’intervention du fils auprès du père, contée avec saveur par mon maître dans
ses Mémoires et où on peut déjà admirer cette science de la rhétorique que le
jeune Siorac aimait fort à manier, au grand plaisir du baron, et qui le mena
jusqu’à la compagnie des plus grands de ce monde. Ensuite, il est non moins
certain que mes talents de grimpeur et d’apazimeur de chiens, même des plus
féroces, portèrent le baron à penser que je serais plus utile au service de
Mespech et de son fils que me balançant tristeusement au bout d’une corde.
Enfin, je tiens aussi pour avéré que mon appartenance à la
religion réformée emporta toute ultime résistance, en particulier celle de Jean
de Sauveterre, si sourcilleux sur ce point.
Le baron Jean de Siorac n’était pas homme à céder devant les
sollicitations, requêtes ou supplications des autres sans prendre le temps de
donner l’impression que la décision venait de lui, et de lui seul. Il ordonna,
comme bien on s’en souvient, après que j’eus effectué mon tour de singe sur les
murailles, que je sois serré dans une des tours du château pendant que lui et Jean
de Sauveterre délibéreraient sur mon sort.
Je fus donc enfermé comme prisonnier en sa geôle dans une
petite pièce de la tour nord-est, conduit là par Marsal le Bigle et Coulondre
Bras-de-fer, les deux anciens soldats du baron du temps des campagnes militaires
sous François I er et restés à son service depuis lors. Du court
trajet de la salle commune à la tour, ces rudes gaillards, couturés et
tailladés de partout, ne pipèrent mot du tout, me lançant même de méchants
regards, montrant par là qu’ils n’avaient pas compris encore que mon sort, en
réalité, était scellé déjà et que point ne serais pendu.
— Tiens ! me lança Marsal le Bigle en me poussant
avec rudesse dans mon réduit, tu seras bien au frais céans pour t’apenser à ce
qu’il en coûte de rober Moussu lou Baron. Bien fol tu as été de t’aventurer ici
et trop tard asteure pour t’en repentir, larron !
— Dresser la potence pour un petit drôle comme ça, sale
besogne ! ajouta Coulondre Bras-de-fer d’un ton lugubre.
Bien que poigné par cette dernière et terrible parole, je ne
la pris pas pour vrai, car Pierre de Siorac, au moment où je fus emmené par
Marsal et Coulondre, m’avait fait un clin d’œil appuyé, doublé d’un
demi-sourire, que j’avais pris comptant pour l’assurance qu’il ferait plier le
baron son père – j’ignorais lors que c’était déjà fait – et que la
clémence serait de mise à mon égard.
Marsal le Bigle et Coulondre Bras-de-fer n’étaient pas de
mauvais hommes, tout au rebours et j’eus mille façons de le constater par la
suite, mais ils jouaient leur rôlet de soldat en ce prédicament et j’étais,
tant que le maître n’avait dit l’opposé, un ennemi du château qu’il fallait
traiter comme tel. Le soldat ne choisit pas ses ennemis, hélas, mais obéit aux
ordres, tue qui on lui demande de tuer, torture qui on lui demande de torturer,
sans états d’âme, quand bien même ce serait sa propre mère, et n’est plus
soldat qu’à moitié celui qui, comme Coulondre Bras-de-fer, trouve que c’est une
« sale besogne » que de pendre « un petit drôle » !
L’attente me parut longue et, de délibération, il dut y en
avoir une entre Jean de Siorac et Jean de Sauveterre, car ces deux-là, et j’eus
moult occasions de le vérifier, malgré leur immutable et indéfectible amitié,
n’étaient pas en accord sur tout, loin s’en faut, et bataillaient ferme,
souvent, l’un pour rappeler les principes essentiels d’un réformé, et l’autre
pour faire accepter les entorses qu’il faisait à ces mêmes principes. L’amitié
entre les deux capitaines était de celles que rien ne peut remettre en cause,
acquise sur les
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