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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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du ventre, tant l’ensemble ne constituait qu’un seul élément informe
et proéminent.
    Dès qu’elle m’aperçut, attaché à la table comme chien
méchant, elle se mit à pousser des cris d’orfraie, fit des moulinets avec ses
gros bras, s’agita encore et encore, sans trêve, criant que j’étais le Malin en
personne et qu’on ne devait mie regarder mes yeux vairons à moins de tomber
dans l’enfer et ses flammes et d’y rôtir jusqu’à la fin des temps. À la parfin,
elle se saisit du sac de sel et, puisant dedans à pleines mains, elle en jeta
tout autour de moi comme pour m’enfermer dans un cercle maléfique, tout en se
signant sans cesse, ce qui finit par projeter du sel un peu partout à la grande
colère du jeune Siorac qui lui ordonna de cesser ces billevesées.
    Je venais là de découvrir la Maligou, laquelle faisait
office de cuisinière au château, et la Maligou oncques ne m’aima, et moi non
plus, pour ce que nous n’étions pas faits du même métal, elle toute en
superstitions, sorcelleries, idolâtries et clabauderies inutiles ou
calomnieuses, et moi tel que vous me connaissez par les Mémoires de mon maître.
     
    La suite, lecteur, je ne la conterai que brièvement car elle
a été transcrite avec force détails et fidélité par mon maître dans les dites
Mémoires et celui qui n’en aurait plus souvenance pourra tout aussi bien s’y
replonger afin de rafraîchir ses mérangeoises. Quand je m’y reporte moi-même,
et je viens de le faire encore avant de tremper derechef ma plume dans
l’encrier, j’y suis stupéfié assez de ne pas trouver cette première et longue
entrevue que nous eûmes au bec à bec, mon maître et moi. Car je cuide assez que
c’est, dès ce moment, et non plus tard, que naquit l’intérêt dont mon maître me
gratifia toutes ces années ainsi que l’immutable respect que je lui porte.
    D’aucuns rétorqueront qu’il n’y a guère loisir même dans ses
propres Mémoires de narrer chacun de ses faits et gestes depuis ses maillots et
enfances jusqu’à l’âge où l’énergie vient à manquer pour courir dans le monde,
et qu’une bibliothèque entière n’y suffirait pas. Je suis bien conscient de
cela et me rends d’autant plus à cet argument que je suis également confronté,
depuis peu, à cette tâche incertaine qui consiste à choisir dans le long tissu
d’une vie ce qui doit être dit ou passé sous silence. Il me semble, cependant,
que cet entretien fut important pour moi, certes, nul ne le contestera, mais
aussi pour lui, et que cette omission est troublante assez pour que je la
signale, à défaut d’en trouver la raison.
    Me ligotant à nouveau, du moins le bras droit qui pendait
hors de la corde – est-ce le fait de m’avoir en partie délié et donné un
couteau que mon maître chercha à dissimuler dans ses Mémoires ? –,
Siorac ordonna à la Maligou d’aller chercher Jean de Sauveterre tandis que lui
se chargerait de son père, affirmant à la cuisinière, laquelle en doutait vu
l’étendue de mes pouvoirs malins que, ficelé comme je l’étais, je ne pouvais
guère me mettre à la fuite, et il avait raison comme bien on pense.
    Et c’est ainsi que je vis débarquer, accouru en toute hâte
de tous les coins et recoins de Mespech, le domestique du domaine, hommes et
femmes, jeunes et vieux. Ce joli monde n’était pas loin de me prendre, tout
pareillement que la Maligou qui menait la danse en la matière, pour le Diable
ou l’une de ses créatures incarnées, tant la fiance dans l’inviolabilité du
château était bien ancrée dans leur tête.
    Puis entrèrent, d’une façon moins bruyante et désordonnée,
et les serviteurs s’effaçant devant eux, François d’abord, le frère aîné de
Pierre, long visage fermé et imperscrutable, l’allure digne et composée, et
Samson ensuite, leur demi-frère à tous deux, jeune garçon d’une rare beauté,
mais qui semblait l’ignorer tant son regard était modeste et simple son
attitude.
    Enfin, et cette entrée me remplit d’anxiété, le père de
Pierre, le baron Jean de Siorac, ayant tout l’air d’avoir été tiré à la chaude
d’une heureuse besogne, et deux pas derrière lui, Jean de Sauveterre, dont je
remarquai incontinent la claudication, ce qui ne l’empêchait nullement de se
mouvoir vite assez, quoique un peu à la manière d’une sauterelle blessée.
    On se souvient que le baron, épousant en cela le scepticisme
de tous, me demanda de refaire,

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