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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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l’ignorer, la justice seigneuriale,
pour le fait de t’être introduit dans nos murs afin que de nous rober, ne
connaît qu’un seul et juste châtiment : le gibet.
    Ma gorge se noua en cet instant, mais avec le recul de ceux
qui connaissent la fin des histoires, je pense asteure que cette entrée en
matière était avant tout destinée à contenter Jean de Sauveterre, lequel hocha
la tête avec gravité à l’énoncé du cruel verdict.
    — Nous n’avons, tous deux ici présents, qu’un mot à
dire pour que la potence soit dressée dans la cour et que l’affaire se termine
promptement, telle qu’elle doit naturellement se conclure, poursuivit Jean de
Siorac tandis que Sauveterre continuait à hocher la tête en signe
d’approbation. C’est notre premier mouvement, car il est équitable, droit et
conforme aux règles de Dieu, auxquelles nul ne peut se soustraire. L’entends-tu
ainsi, Miroul ?
    — Oui, Moussu lou Baron, et ma gorge s’étrangla
derechef.
    — Bien. Il est déjà moins perdu celui qui comprend la
sentence et la reconnaît comme juste.
    Je ne sais si cette phrase terrible visait encore à
contenter Sauveterre, car égaré je commençais à l’être tout à fait, et de plus
en plus, perdant pied dans cette rhétorique de nobles qui m’était tout à plein
déconnue.
    — Miroul, en ce triste prédicament, car nous avons jà,
hélas, pendu des larrons et des gueux à notre potence, et ce n’est jamais une
fête à Mespech que de voir un corps se balancer au vent, nous souhaitons te
reposer quelques questions pour bien juger de toi, et ne pas commettre une
erreur.
    Il marqua une courte pause, se tourna vers Sauveterre qui,
par un bref signe de tête, donna son assentiment. Le baron posa ensuite son
regard bleu et tranchant sur moi avant de poursuivre.
    — Es-tu né dans la religion réformée ou es-tu un
converti ?
    — Je suis né dans la religion réformée, Moussu lou
Baron.
    — Tes parents te lisaient donc la Bible en ton enfance
et tu en as retenu les grands préceptes ?
    — Oui-da, Moussu lou Baron.
    — Pourquoi rober chez nous dans ce cas ?
    Lecteur, si tu commences à percer qui je suis, tu auras
compris que je n’ai pas reçu d’instruction et suis donc très certainement un
âne en bien des choses, mais que j’apprends vite, ai mémoire affûtée, et sais
faire bonne et rapide usance de ce qui atterrit dans ma besace.
    — Moussu lou Baron, je suis larron par accident et non
par vice, dis-je reprenant mot pour mot le propos du jeune Siorac à mon sujet
le matin même.
    Cette phrase fit mouche, je crois, car je vis le baron et
Sauveterre s’échanger un regard de surprise et changer de position sur leur
escabeau.
    — Ma famille a été tout entière massacrée par des
gueux, parce que nous étions de la religion de Luther. Ce fut un horrible
pâtiment qui ne se peut exprimer, Moussu lou Baron, et seul je réchappai de la
meurtrerie et oncques ne reverrai mon père, ma mère, mes deux sœurs et mes deux
frères.
    —  Deus dedit, Deus abstulit : Sit nomen domini
benedictum [4] prononça alors Sauveterre d’une voix grave qui me stoppa tout à plein.
    À l’époque, je ne comprenais ni le latin – je ne
l’entends toujours point du reste – ni la langue du Nord qui ne m’est
devenue familière que plus tard dans le sillage de mon maître à la cour du roi
de France, et seule la langue d’oc m’était intelligible, si bien que je ne sus
ce que Sauveterre venait de dire et Jean de Siorac le comprit assez pour s’en
faire le truchement.
    — La famille est un bien que le Seigneur t’avait donné,
Miroul, il te l’a retirée, mais tu dois sanctifier le Seigneur dans toutes ses
actions, même et surtout quand tu ne les comprends pas.
    — Amen, dis-je avec respect, ce qui eut l’heur de
plaire à Sauveterre car je vis passer dans ses yeux un éclat de satisfaction.
    — Poursuis, mon brave Miroul, dit-il, et c’est la
première fois que je le vis prendre une part active à cet interrogatoire qui
semblait jusque-là mené seul et de bout en bout par le baron.
    — Je suis perdu sur les routes et la faim me travaille
si fort que je ne peux faire autre chose que rober pour non pas mourir dans le
fossé. Mais qu’on me donne la chance de me racheter et je me ferai tuer pour
mes nouveaux maîtres !
    Je dis cela avec un certain élan, presque de l’enthousiasme,
et je le pensais si à plein que le baron leva le bras pour m’interrompre,

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