L'avers et le revers
j’hésitais à le remercier
de sa bénignité comme il me semblait que je devais faire, quand il se tourna
vers moi et m’ordonna de me joindre à Catherine pour suivre l’édifiante leçon
de morale donnée par Barberine, ce que je fis sans sourciller, tout marmiteux
que j’étais de cette épouvantable scène. Barberine m’accueillit avec un gentil
sourire, preuve que la nourrice n’avait pas l’once d’une méchanceté au fond de
son doux cerveau et ne reportait pas sur moi sa crainte de retourner aux
marmites. Sur ce, mon maître sortit à son tour, sans porte claquer mais en
maugréant de colère à ce que je me ramentois.
La Maligou point ne partit. Elle revint à sa cuisine une
paire d’heures plus tard, la mine fatiguée, les yeux gonflés comme si elle
avait pleuré et, bien qu’elle refusât de battre sa coulpe, ne causa plus jamais
de l’incident. Elle continua, cependant, à me manifester une hostilité si
franche et si constante que je me dispensai sans remords de son commerce,
évitai de me trouver seul avec elle, ne lui adressant la parole que très à
rebelute, ce dont elle s’aperçut et me fut à la longue reconnaissante, prouvant
assez qu’elle était plus sotte que méchante.
Ce qui s’était passé entre elle et le baron dans la
librairie du château, là où la frérèche avait coutume de discuter ou de
recevoir à l’abri des oreilles indiscrètes, point ne le sus jamais et mon
maître ne jugea pas bon de m’en aviser, sinon que je cuide assez qu’elle fut
reçue comme elle le méritait car le baron, je l’ai vérifié maintes fois, s’y
connaissait pour rabattre la crête des imbéciles, les retourner et les
mortifier jusqu’au repentir.
Comme je ne fus pas long à m’en apercevoir, l’office de
valet diffère prou de celui du reste du domestique, en ce que le valet est très
proche des maîtres, les côtoie journellement, et de par le fait connaît leur
grandeur, mais aussi leur misère. Des cuisines ou du potager, du chemin de ronde
ou des écuries, on ne distingue que l’avers des maîtres, alors que le revers
montre assez qu’ils sont semblables à nous en bien des points, hormis la pécune
et leur droit à nous commander. Ceci, je le dis sans malignité aucune, non pas
pour les rabaisser à notre humble condition, car leur instruction ne nous
permet pas d’être de plain-pied avec eux, mais parce que je le découvrais
moi-même avec étonnement dans les premières semaines de ma nouvelle condition.
Le lecteur, je pense, ne me contredira point car, s’il
possède l’oisiveté pour me lire sans qu’une ingrate besogne ne s’interpose,
c’est qu’il est des leurs et sait ce qu’il en est. Il est constant cependant,
et je l’ai remarqué à la cour du roi de France, que d’aucuns des nobles, et
parmi les plus grands, n’ont aucune perception de ce que je viens d’énoncer, et
sont tout entiers dans l’avers de leur situation, qu’ils admirent, ne
soupçonnant même pas l’existence d’un quelconque revers, se méprenant sur
eux-mêmes tout autant qu’ils se méprennent sur les gens de ma condition, qu’ils
ne placent pas beaucoup plus haut que les animaux de la plus puante des
basses-cours. J’aurais souhaité, en m’élevant dans le monde, encontrer gens de
plus grande humanité, mais ce fut souvent tout le rebours, certains gagnant en
mépris ce qu’ils perdaient en bienveillance.
J’ai connu de ces valets sous la coupe de princes et
princesses, lesquels ne les considéraient pas plus que s’ils étaient excrément
sur le bord de la route, et qui pâtissaient prou de ce mépris et oncques ne pus
l’admettre entièrement. Mais c’est là condition dont il faut se satisfaire car
elle reste au-dessus des paysans, et même bien au-dessus, livrées propres étant
meilleures que pauvres hardes, rôt quotidien préférable à famine, et service en
maison moins harassant que besogne des champs. Si le mépris n’est pas le lot
journalier du paysan, il est tant et tant écrasé par le labeur et la peine que
sa situation est moins enviable que celle des bêtes dont il s’occupe.
La fortune, en vérité, tout entière m’a souri pour ce que
les Siorac n’ont pas l’arrogance de leur état et n’abusent en rien du pouvoir
que Dieu leur a conféré dès la naissance. D’autres n’ont pas eu cette chance
et, même asteure, il m’arrive de songer à ceux qui, jusqu’à leur triste trépas,
mènent sur Terre une existence misérable que
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