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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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force,
surpassant son aîné pourtant habile lui aussi – j’en montrerai un exemple
tantôt – tandis que Samson s’y révélait médiocre assez, comme bien on
imagine. Les ficelles de cette rhétorique s’apprennent mais il y faut une
disposition propre, laquelle exige vivacité d’esprit, synthèse du discours de
l’adversaire et de ses failles, et – ce crois-je – une volonté de
triompher sans craindre d’humilier son contradicteur.
    Tous ces enseignements qui, en eux-mêmes, auraient suffi à
rassasier le plus affamé des écoliers n’étaient point toute la mangeoire que
Pierre et Samson devaient picorer, et il en restait prou encore, dont François
était quant à lui dispensé.
    Le domaine de Mespech exigeait son tribut que tout le
domestique devait acquitter sans barguigner, aussi les tâches étaient-elles
réparties selon les moyens et l’art de chacun. Au potager, ensemble ou à tour
de rôle, la Gavachette, la petite Hélix, Barberine, plus rarement la Maligou,
Margot qui accourait de sa ferme toute proche ; et les garces encore pour
l’entretien des logis ou l’occupation des bêtes. Aux besognes plus rudes, comme
le labour, le fauchage des parcelles, le curage des fossés, le tirage de l’eau,
les hommes s’assemblaient tels les cousins Siorac, Coulondre, Marsal, Escorgol
qui lors descendait de son châtelet d’entrée et deux autres aussi dont je n’ai
point encore causé, Faujanet qui quittait là – à regret – son atelier
de bois et Jonas qui remontait de sa carrière pour l’occasion, et enfin votre
Miroul qui exerçait ici sa science de paysan. Selon les saisons, hommes et
femmes partaient tous pour le ramassage des noix ou des châtaignes, la récolte
des foins ou du blé où je humais à plaisir le parfum de mon enfance.
    Le labeur est incessant dans un château, et je ne parle pas
du remparage fréquent de la forteresse, des tuiles qui volent au vent, des
portes qui se dégondent ou se fendent, des chaînes des pont-levis qui se
démaillent, du puits qui se bouche, et la liste serait tant infinie à dresser
que je laisse le lecteur l’imaginer. À toutes ces charges, Pierre et Samson
prêtaient la main, plutôt deux qu’une du reste, et ces besognes sont
continuelles assez, si bien que les cadets n’étaient jamais désoccupés, tout le
rebours, arpentant le domaine sans cesse comme sur le navire deux bons
officiers de la marine.
    François, de son côtel, ne touchait pas à ces ingrates
besognes, ce qui seyait bien à son caractère composé et réfléchi. Le baron et
Sauveterre – surtout Sauveterre – l’instruisaient à la conduite de
Mespech, du baillage des terres aux créances en cours, à tout ce qu’un
propriétaire terrien doit connaître et c’est là affaires fort emmêlées
auxquelles je n’entends rien moi-même, mais que plus tard, à la mort de la
frérèche, François devait connaître de la plus petite à la plus grande, et les
gérer comme un baron habile de sa gestion et non tel un béjaune au sortir de
son œuf, dont on peut parfumer le bec avec de la farine.
    D’une chose on oublie l’autre, les animaux de la basse-cour
se trouvaient sur l’île, en vagabondage puisque protégés par l’eau tout autour
et tolérés par les chiens, lesquels étaient bien nourris et aimables assez pour
les regarder sans les croquer. Les lapins étaient cependant encagés pour ce que
ces bêtes, comme on sait, savent se dissimuler et disparaître quand on les
invite à sa table. Catherine, de l’un d’eux, un lapin blanc, était tombée en
grande amour, et accourait dès que libre pour le caresser ou lui glisser des
herbes à travers le grillage et elle redoutait le moment où son tour d’assiette
viendrait, la Gavachette qui d’ordinaire nourrissait les lapins ne pouvant lui
cacher que son sort, hélas, ne saurait différer des autres. Son chagrin fut si
fort à la pensée de cette triste issue qu’elle brava un soir, dans la salle
commune, alors que tous du domaine étaient assemblés pour le souper, et son
père et Sauveterre, afin que de sauver les oreilles du lapin blanc.
    — Monsieur mon père, dit-elle de sa petite voix,
savez-vous que nous avons un lapin qui est si blanc et si beau et si mignon et
si gentil que je l’aime d’une grande amour.
    — Non, ma fille, répondit le baron en posant sur elle
son regard azuréen. Mais il ne faut point trop s’attacher aux bêtes qui passent
sur cette Terre un séjour beaucoup plus court

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