L'avers et le revers
rien ni personne ne vient jamais
relever. Parfois, je prie le Tout-Puissant qu’il m’aide à comprendre le choix
qui est le sien dans le destin des âmes et lève le trouble qui est le mien
quand j’examine le monde. Que d’aucuns, par le simple fait de naître entre les
cuisses d’une princesse et sans avoir à montrer d’autres mérites, reçoivent
toute richesse et tout pouvoir, sans partage, tandis que d’autres n’ont rien,
demeure l’énigme que les prêtres n’expliquent guère et qui, du reste, ne semble
pas les soucier. Si les religieux faillent à pénétrer le dessein de Dieu, le
philosophe saura un jour, peut-être, nous en donner le sens et l’issue.
Encore devrais-je souligner que l’écart n’est pas petit
entre le noble de cour, qui lèche dans l’entourage du roi tout ce qu’on lui
présente pour gravir d’autres marches, et la petite noblesse de province à
laquelle appartient la famille Siorac. Celle-ci, consciente sans doute d’être
loin du soleil, n’est point tant suffisante avec les petits et obséquieuse avec
les grands, et souvent offre de meilleures garanties aux gens de ma condition.
Mais là aussi, c’est affaire de hasard, d’heur ou de malfortune, et l’on
n’influe guère, hélas, sur le mouvement du balancier qui vous dépose chez l’un
ou l’autre, chez Siorac ou Fontenac, chez l’éclairé ou le barbare.
Si oisiveté et frivolité sont reines chez les plus grands et
les princes de ce temps, il n’en était rien chez les Siorac. Que mon maître se
levât si tôt montre assez qu’il n’était pas de ceux-là qui fainéantent et se
ventrouillent dans la paresse. À examiner sa journée, elle était tout emplie
d’activités qui vous laissent le soir avec l’envie grande de courir sus au lit,
nonobstant pour mon maître cet innocent détour par celui de la petite Hélix.
Pour les fils du baron, François, Pierre et Samson, il y fallait déjà de
l’ardeur pour suivre presque quotidiennement l’enseignement de Cabusse qui
avait la charge du métier des armes, lot essentiel de leur instruction, car
tirer à l’épée, viser à l’arquebuse, monter à cheval, manier la pertuisane et
le braquemart sont patients apprentissages que l’on doit prendre au sérieux si
l’on souhaite y faire bonne figure. Et ce n’est pas me paonner que de dire que
j’ai vécu certains de ces éreintements dès lors que mon maître voulut que je
montasse à cheval ou que j’eusse l’usance du braquemart et de la pertuisane.
Cette part tumultueuse de leur éducation était balancée par
des tâches autrement plus ardues, à mon sens, puisque le baron, ou Sauveterre
selon les moments, leur enseignaient le latin, parladure ancienne et étrange
que plus personne ne cause – hormis les prêtres en messe – et dont je
n’ai jamais entendu un traître mot. Pourquoi fallait-il apprendre une langue à
présent déconnue, c’est ce que je n’ai mie compris à l’époque, sinon que ces
messieurs les nobles connivent entre eux de cette manière, étant seuls –
avec les religieux – à jaser de la sorte. Tout aussi vrai que le paysan se
reconnaît à la fourche qu’il soulève entre ses mains, le noble se distingue au
latin qui lui sort tout soudain de la bouche.
À cela s’ajoutaient des leçons de langue du Nord auxquelles
Catherine était conviée – ainsi qu’à l’apprentissage du latin –, la
raison en étant que ce langage est celui du roi et de la cour et qu’il est bon
pour un noble de le manier aussi. Mon maître, François et Catherine en
connaissaient déjà l’essentiel pour ce que leur mère, la baronne Isabelle,
affectait de leur parler en leurs maillots et enfances dans cette parladure un
peu rêche, délaissant par pose notre belle langue d’oc. Seul Samson, que la
baronne ignorait et méprisait, était hésitant et malhabile en cette matière, si
bien que pour mon instruction, le baron lui demanda de me l’apprendre, jugeant
que ce serait là excellente pratique, exercice et révision, pour qu’il
progressât lui-même, ce que Samson fit sans se rebiquer aucunement.
Enfin, la science de la parlerie était elle aussi apprise
avec méthode, et je devinais que c’était dans ces leçons-là, que le baron
aimait à dispenser, que les nobles apprenaient à vous geler le bec d’une
phrase, d’une seule, en vous faisant cruellement mesurer l’immensité de votre
ignorance. À ce jeu, car c’est un jeu, Pierre était de première
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