L'avers et le revers
atteint ni la sûreté ni le contrôle de mon maître.
Sur le chemin du retour, au niveau du châtelet d’entrée, et
alors que, levant la tête vers le chemin de ronde, je n’apercevais pas cet
Escorgol censé surveiller le passage, nous encontrâmes deux garces qui
attirèrent mon attention. La première, jeune assez, d’une dizaine d’années
seulement mais déjà presque formée, était mignonnette à ravir, fine et agile,
le pied menu, la peau mate comme une Sarrasine et un visage d’ange déjà propre
à vous damner. C’était la Gavachette, fille de la Maligou, que les hommes
étonnés, et sans même s’en rendre compte, regardaient déjà comme une petite
femme. Cependant, aussi charmante que fût cette apparition et n’ayant jamais
été très attiré par les jeunettes un peu trop tendres, c’est la seconde qui
capta mon regard.
Celle-là avait mon âge, une taille faite au tour, la
poitrine bien dessinée, de longs cheveux noirs tombant sur de belles épaules
athlétiques et, admirables au milieu d’un visage mutin et espiègle, des yeux
aussi verts que ceux d’une chatte. J’en fus fort troublé surtout que,
m’envisageant sans vergogne aucune, elle s’écria à mon adresse d’une jolie voix
rieuse :
— Est-ce toi le fameux Miroul, si habile qu’il grimpe
sur les murailles du château ?
Que cette belle et saine garce connaisse et mon nom et mes
exploits en disait long sur la nature et l’étendue des clabauderies qui
agitaient le domestique à tous les étages de Mespech car la Gavachette, je m’en
ramentevais bien, était de ceux qui m’avaient vu ficelé à la table dans le
charnier, mais point ne me rappelais l’autre, ni ce matin-là, ni en tout autre
lieu, aussi loin que je fouillai en ma remembrance. Sans attendre ma réponse,
laquelle tardait trop pour son esprit vif, elle fit une petite révérence devant
mon maître et demanda tout à trac :
— Est-ce bien lui, Moussu Pierre, le Miroul dont on
parle ?
— Oui-da, Margot, c’est bien lui, mais ce n’est pas un
maraud dont on se gausse ! répondit mon maître. Ne sais-tu donc pas qu’il
est à présent mon valet ? Eh, la Gavachette, dois-je le croire, tu ne dis
pas tout à la Margot ?
— Si fait, Moussu Pierre ! s’écria la Gavachette
toute rebiquée par cette moquerie qu’elle prit pour un reproche, je le lui ai
dit ! Même que ma mère en est toute retournée et que, de cette histoire,
elle a pas fini d’en tirer toute la sauce !
— Je n’en doute pas, la Gavachette ! Comme dit le
proverbe : langue fourchue doit être coupée deux fois ! Et la Maligou
a la langue fourchue !
— Non, Moussu Pierre, reprit la Gavachette, les joues
et les oreilles virant à l’écarlate, vous ne devriez pas dire cela de ma
mère ! Elle est bonne chrétienne, prie Dieu chaque minute, et combat le
Malin mieux que personne dans le château !
Pendant ce temps, la Margot m’observait d’un regard en
dessous et je crus même discerner sur son visage un sourire d’une si angélique
chaleur qu’il me remua assez dans les entrailles.
— Il va rester céans, donc ? reprit-elle soudain
en posant ses yeux de chatte sur mon maître.
— Tout doux, la Margot, ne va pas travailler à
l’imaginative ! répondit mon maître. Oui, il va rester céans, mais il est
à mon entière et exclusive disposition !
Pour le coup, ce fut la Margot qui rougit à son tour pour ce
qu’elle comprit que son intérêt pour moi laissait trop à penser alors qu’elle
souhaitait avant tout ne rien en paraître, surtout devant la Gavachette,
sachant la promptitude à laquelle les rumeurs, vraies ou fausses, se
répandaient dans le château.
— Peu me chaut qu’il reste ou non !
s’écria-t-elle. Et pourquoi donc je me soucierais de lui, Moussu Pierre ?
— Ai-je dit que tu te souciais de lui, la Margot ?
s’esbouffa mon maître.
— Manquerait plus que ça ! affirma-t-elle d’un air
fort remonté. Or, y allons, la Gavachette ? Pendant ce temps qu’on
discourt, le travail, y se fait pas !
Lors la Margot, sans m’accorder un regard, tira sur la
manche de sa compagne et l’entraîna à sa suite en direction de l’île.
Mon esprit fut tout entier absorbé par cette rencontre qui
me trottait de par la tête avec insistance et je m’apensai songeur et à ce joli
sourire, tout en promesse, et à cette soudaine fâcherie qui l’annulait, quand
je sentis peser sur moi le regard de mon maître. Il ne disait rien
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