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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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que le nôtre, cela vous le savez.
    — Mon père, on ne doit pas manger mon beau lapin
blanc ! reprit Catherine et son timbre s’altéra d’une grande angoisse.
    — Fi donc, Catherine, c’est un lapin et c’est le lot du
lapin que de nous servir ainsi.
    — Si on le tue, j’en mourrai de chagrin ! cria
Catherine au bord des larmes.
    Lors il y eut un grand silence dans la salle commune, les
fourchettes et les couteaux s’immobilisant au-dessus des écuelles, toute autre
conversation cessant incontinent, et les têtes dans un bel ensemble se tournant
vers le baron. Celui-ci était fort embarrassé, ne désirant point céder à ce
qu’il considérait comme une enfantine vétille, qu’il ne faut point d’ordinaire
tolérer si on veut éviter de gâter le caractère des enfants. Dans le même
temps, l’émotion de sa fille l’avait aussi poigné quelque peu et il balançait
entre son devoir de père qui parlait à sa raison et son amour filial qui
parlait à son cœur. Souvent, quand il ne parvenait pas à prendre seul une
décision, le baron consultait autour de lui jusqu’à ce que le juste choix
s’imposât à lui. Il fit de même et comme François se trouvait face à lui, il
l’interrogea à brûle-pourpoint :
    — Qu’en pense monsieur mon fils ?
    François leva les yeux vers son père puis tourna son regard
vers sa sœur qui l’implora de ses prunelles humides. L’aîné du baron, quoique
trop pénétré sans doute de cette position d’héritier qui le poussait à se
sentir supérieur aux autres, n’avait point mauvais cœur et aimait à se sentir
protecteur de sa sœur, laquelle était du reste la seule de la fratrie qu’il
appréciait ou acceptait. Il réfléchit un court instant et répondit ceci qui ne
fut pas compris par tous autour de la table, loin s’en faut, en particulier de
la Maligou qui leva les bras au ciel et y aurait bien mis son grain si
Coulondre ne lui avait gelé le bec d’un petit coup de sa main de fer dans le
bidon.
    — Monsieur mon père, dit François, je crois que nous
n’avons pas de lapin blanc.
    Surpris une pleine seconde par ces paroles, le visage du
baron s’éclaira tout à plein dès qu’il en saisit le sens. Puis il rit à gorge
déployée tandis que Sauveterre peinait à dissimuler un sourire.
    — C’est bien cela, reprit-il, nous n’avons jamais eu de
lapin blanc !
    — Que dites-vous, que dites-vous ? balbutia
Catherine dont les larmes roulaient sur ses joues délicates.
    Le baron se pencha vers elle et lui dit de ce ton qu’il prenait
quand toute décision était arrêtée, ton assuré, clair et sonnant, que j’avais
déjà connu dans ma petite geôle de la tour nord-est.
    — Mademoiselle ma fille, chère petite bachelette,
souvenez-vous que nous n’avons pas de lapin blanc. À partir de maintenant,
c’est vous qui nourrirez les lapins, tous les lapins, ceci est votre charge
nouvelle et je veux que vous la remplissiez au mieux avec l’aide de la
Gavachette. Quant à savoir lequel de nos lapins nous voulons dans notre
assiette chaque semaine, c’est toujours la petite Hélix qui en décide, sachant
hélas, car au pelage souvent on reconnaît le rôt, que nous n’avons pas de lapin
blanc.
    — Nous n’avons pas de lapin blanc ? répéta
lentement Catherine.
    — Non, et on ne peut manger ce qu’on n’a point !
affirma le baron sentencieusement.
    Catherine comprit, et les larmes séchèrent, et son teint
recouvrit ses couleurs et même elle sourit à son père qui lui caressa le visage
de sa main rude. Mais en voilà bien des enfants dès qu’ils ont emporté la
victoire, ils cherchent à pousser loin leur avantage au-delà du raisonnable et
donc Catherine demanda :
    — À la saison, peux-je leur donner des carottes pour
les nourrir ?
    Et dans le court silence qui suivit, la voix sans réplique
de Sauveterre, tranchante comme un silex, mit fin à la discussion.
    — Les carottes sont destinées aux hommes et on ne les
gâche pas pour les bêtes. Tout bien est précieux quand dur il est à obtenir,
retenez au moins cette leçon, petite Catherine !
    La Maligou crut bon d’acquiescer à cette saine morale, et
mal lui en prit, car Sauveterre lui lança un œil noir et ajouta :
    — De même le sel, qui coûte si cher, ne doit pas être
jeté à tout-va et à pleines poignées pour de sottes superstitions !
    Sur quoi, la Maligou se tassa sur sa chaise en un gros tas
de graisse informe et

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